YAN Mo - Le maître a de plus en plus d'humour

Licencié de l'usine dans laquelle il a toujours travaillé de manière exemplaire un mois avant sa retraite, le vieux maître Ding cherche à se recycler pour pouvoir continuer à vivre, mais tandis que les plus jeunes de ses anciens camarades trouvent un nouveau petit boulot, lui erre sans but et honteux de son état jusqu'à ce qu'un jour il tombe sur un vieux bus abandonné près d'un cimetière.

Lorsqu'il s'approcha du cimetière, une douleur à la jambe le contraignit à s'asseoir sur un bloc de ciment. Un peuplier blanc abritait un nid de corbeaux et un nid de pies. Les corbeaux ne cessaient de croasser, tandis que les pies tournoyaient silencieusement dans les airs. Tout en se massant la jambe, il découvrit sur un espace plat situé sous un peuplier une carcasse de bus abandonnée. Les roues avaient disparu, les vitres aussi, la peinture était presque entièrement effacée. Il n'arrivait pas à comprendre qui avait bien pu amener ce bus ici et pourquoi. A cet instant, il vit un homme et une femme sortir furtivement du cimetière, telles deux ombres irréelles, pour se faufiler prestement à l'intérieur du bus tout bariolé de rouille. (p.45)
Remarqué chez Virginie, cette nouvelle tient la promesse de distraire son lecteur. Maître Ding trouve donc une issue à son problème, peu importe au fond la morale de son affaire, pourvu qu'elle rapporte et qu'elle ne cause pas de tort. En plus, sa petite entreprise lui redonne un regain de libido qui surprend bien évidemment son épouse. Le récit est dramatique et drôle, jouant sur la personnalité impuissante de Maître Ding face à sa précarité stimulée par l'aplomb et les encouragements de son ancien apprenti Xiaohu.
Le maître et l'apprenti se placèrent côte à côte devant les urinoirs, sans se regarder, les yeux fixés sur les boulettes désodorisantes qui roulaient sans fin. Dans le fracas de l'eau, il demanda doucement : "Pourquoi faut-il payer pour aller aux toilettes ?
- Maître, on dirait que vous débarquez de la planète Mars, vous croyez que de nos jours il y a encore des choses gratuites ? dit l'apprenti en haussant les épaules. Mais payer a aussi son avantage. Si c'était gratuit, même en rêve, des petites gens comme nous n'iraient pas dans des W.C. luxueux comme ceux-ci !"
L'apprenti le guida pour se laver les mains et les passer sous le sèche-mains, puis ils sortirent des toilettes.
Assis dans le triporteur, frottant ses mains rugueuses adoucies par le séchage, il dit en souprirant : "Xiaohu, on s'est fait une pisse de luxe tous les deux.
- Vous ne manquez pas d'humour, maître !
- Je te dois un yuan, je te le rendrai demain !
- Vous avez de plus en plus d'humour, maître !" (p.50)
Une lecture un brin originale qui fleurte avec le côté parfois décalé des récits japonais. A découvrir.

titre original : Shifu ni yue lai yue youmo (1999)
100 pages
édition française 2005 par Edition du Seuil
traduction du chinois par Noël DUTRAIT
illustration d'entrée de billet : ouvrier chinois sur son vélo

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