MANKELL Henning - Avant le gel


Suède, septembre 2001. Linda Wallander est à quelques jours de prendre son poste dans le commissariat de son père lorsque Anna, son amie d'enfance disparaît alors que celle-ci avait annoncé quelques jours auparavant avoir aperçu son père disparu depuis 24 ans. Parallèlement à la disparition de son amie, des animaux sont immolés, la tête et les mains croisées d'une femme sont retrouvées dans une cabane abandonnée à côté d'une bible annotée de nouvelles "écritures". Wallander se lance à fond dans cette enquête à connotation de fanatisme religieux, tandis que Linda cherche à retrouver Anna.
Linda se rappelait la première fois qu'elle avait rendu visite à Anna chez elle. Elles avaient huit ou neuf ans, mais elle n'étaient pas dans la même classe à l'école ; elles n'avaient jamais su ce qui les avaient attirées l'une vers l'autre. On a été attirées, pensa Linda, c'est tout. Quelqu'un passe son temps à jeter des cordes invisibles autour des gens et à les lier ensemble. (p.40)
"Avant le gel" se situe juste après "Le retour du professeur de danse" que j'avais bien aimé et avant "L'homme inquiet", le dernier Wallander. On y découvre une sorte de relais spirituel entre le père et la fille, qui, bien que souvent en opposition, tiennent l'un à l'autre. Linda découvre le monde impitoyable de son père : elle passe derrière le miroir et comprend combien la frontière qui existe entre le monde de la criminalité et la sphère privée est facilement percée par des fulgurances, des idées noires, des intuitions aigues qui ne laissent jamais de repos.
Les gens allaient et venaient, les téléphones sonnaient, et au milieu de toute cette agitation son père restait absolument immobile, comme ligoté par des cordes invisibles. Linda eut pitié de lui, de son isolement, de la pression qu'il subissait. Se tenir prêt en permanence à répondre à la litanie des questions, prendre une à une toutes les décisions nécessaires pour que l'investigation du lieu puisse se poursuivre. Un funambule hésitant. Voilà comment je le vois. Un policier en équilibre instable, là-haut sur sa corde, qui devrait perdre du poids et trouver un remède à sa solitude. (p.137)
Tout au long de la lecture, impossible pour moi d'oublier l'interprétation de Johanna Sällström, l'actrice qui fut Linda dans la série suédoise des "Wallander" : sa tragédie personnelle est en effet intimement liée au devenir du personnage de Linda dans les romans de Mankell dans la mesure où l'auteur abandonna l'idée d'écrire la suite de sa trilogie consacrée à Linda Wallander après la mort prématurée de Johanna. Notons qu'on y croise aussi Stefan Lindman, héros dans "Le retour du professeur de danse", et qui rejoint l'équipe des Wallander et qui va former un couple avec Linda (sélectionner le texte entre crochets pour le lire) [...vers la mi-octobre, Linda comprit qu'elle n'était pas seule à être tombée amoureuse. p.486] .

Le titre "Avant le gel" fait référence à la saison qui arrive et dont Linda observe les infimes variations dans la nature.
- Est-ce qu'on peut dire "avant le gel" ?
- "Avant les premières gelées", c'est mieux.
- Je me suis réveillée ce matin en pensant que c'était bientôt l'automne. Et qu'il allait geler. (p.297)
Pour le reste du roman, comme je suis une fan de Wallander, et du style de Mankell, je ne peux que témoigner de mon intérêt pour ce genre de lecture, avec un léger bémol cette fois : j'ai trouvé le récit un tantinet trop long, surtout dans les descriptions des idées fanatiques des disciples du "gourou", car c'est bien de cela dont il s'agit : un illuminé qui a décidé de faire entendre la parole de Dieu en Scanie, rien que cela ! Mais ce que j'aime chez Mankell c'est sa capacité à faire parler tout le monde : les héros, les criminels, même les rôles secondaires ont de jolies pensées :
Dans un champ, j'ai aperçu un épouvantail. Quels fruits, quelles semences était-il chargé de protéger des oiseaux ? Je n'en sais rien. Je me suis arrêté en songeant que j'étais pour la première fois de ma vie tenté de commettre un délit. Je voulais me transformer, ni vu ni connu, en serrurier voleur. Alors je me suis faufilé dans le champ et j'ai piqué à l'épouvantail son chapeau. La nuit, je rêve parfois que ce n'était pas un épouvantail mais un homme vivant qui veillait, immobile, au milieu de ce champ. Il a dû comprendre que j'étais un lâche qui ne subtiliserait plus jamais de sa vie quoique ce soit à son prochain. C'est pourquoi il s'est laissé faire, avec beaucoup de compassion. Peut-être était-ce un moine franciscain qui traînait là dans l'espoir d'accomplir un jour une action méritoire ? (p.376)


titre original : Innan frosten (2002)
478 pages
édition française 2005
traduction du suédois par Anna GIBSON
illustration d'entrée de billet : une église à Ystad

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