ABE Kōbō - La Femme des sables


Un instituteur passionné d'entomologie parvient à un village proche de la mer où il espère trouver une espèce rare pour sa collection. Lorsque la nuit tombe, il demande à un villageois s'il est possible de rester dormir, le vieux l'emmène alors chez une jeune veuve qui vit seule. Au matin, il se rend compte qu'il lui est impossible de partir : la maison se trouve dans une sorte de cratère entouré de murs de sable impossible à escalader sans aide. Le sable envahissant inlassablement la maison, il faut s'en débarrasser chaque nuit sous peine d'être complètement enseveli. L'homme cherche à s'enfuir, élabore différentes stratégies pour tenter de reprendre sa liberté.
Là même d'où il était parti, là même l'homme retombait, dégringolant et roulant.
Son épaule gauche rendit le même craquement qu'une paire de bâtonnets de bois blanc qu'on achève de séparer. Pourtant, il n'en ressentait nulle douleur. La blessure que le sable venait de lui infliger pour le punir de s'être accroché à lui, le sable même, on eût dit, la voulait panser et calmer : doucement, du pan de la falaise, du sable très fin se mit à couler, à murmure monotone... à couler, un moment... petite, toute petite blessure, au reste, sans importance en vérité. (p.65)
Voici un récit étrange sur le côté parfois absurde de la vie. Faire, refaire sans cesse des choses dont on ignore le sens, c'est un peu l'histoire de cet homme pris au piège dans une gigantesque prison de sable, incapable de comprendre pourquoi les villageois ne se révoltent pas, ne partent pas s'installer ailleurs : pour eux, comme ils disent, se débarrasser du sable nuit après nuit "à la main", c'est la solution la moins onéreuse pour la communauté. Tout simplement.

J'ai bien aimé la manière dont l'auteur donne à son héros la force de réagir, de combattre son enfermement, puis celle de trouver une échappatoire. Il s'indigne, s'insurge, se résigne, se désespère, finit par s'attacher à sa geolière, lui trouve un intérêt, au moins sexuel. Sans cesse, il rumine sur sa condition, puis la condition d'une vie en général, il compare, imagine des dialogues, cherche à trouver une explication la plus rationnelle possible alors qu'il est bien conscient que ce qu'il fait est absurde, et qu'il lui faut vivre avec cette impression et cette révélation. Son but ultime.

Le style est complexe, les tournures de phrases parfois peu aisées, il faut alors relire une phrase, un paragraphe. Le rythme de certaines phrases est ralenti par certaines longueurs, placement de virgules, sans doute placées pour montrer la confusion dans laquelle se trouve le personnage principal. C'est un peu comme si le roman dans sa globalité pouvait être regardé sur plusieurs plans : au premier plan, le récit brut,  l'homme prisonnier, mais le récit peut être vu et interprété dans un plan plus large : le village se trouverait alors être le monde lui même, envahi par le sable, témoin du temps qui passe bien sûr, et que chacun d'entre nous cherche à dominer. A moins que l'homme ayant pénétré dans le village de sable, ne soit le même que cet ouvrier victime d'un accident de chantier et enseveli dans un état critique. Entre la vie et la mort.

La vie de certains pourrait alors être le rêve des autres. Ou leur cauchemar.



titre original : Suna no onna
année sortie : 1964
édition française en 1979 par les Editions Stock
305 pages
traduction du japonais par Georges BONNEAU
illustration d'entrée de billet : "La femme des sables" un film de Hiroshi Teshigahara (1964) avec Eiji Okada et Kyôko Kishida

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