BRONTE Anne - Agnes Grey


A peine âgée de 19 ans, Agnes Grey décide de gagner sa vie en devant gouvernante. Fille d'un modeste pasteur et d'une lady qui a été reniée par son père à cause de sa mésalliance, Agnes a reçue une très bonne éducation mais elle a des difficultés à s'imposer et reste souvent sur la réserve, même face à une situation qui lui semble injuste ou inappropriée, le comportement des enfants gâtés ou celui des parents complètement aveugles ou indifférents. D'abord au service de la famille Bloomfield à Wellwood House où elle reste 1 an ; elle trouve ensuite un poste chez les Murray à Horton Lodge, où elle fait connaissance d'Edward Weston, le vicaire, qui lui plaît beaucoup et qui finit par lui demander sa main.

Très beau roman d'Anne Grey, moins connue que ses soeurs mais à mes yeux tout aussi intéressante. Anne Brontë exploite ici la palette des couleurs de sa propre existence : la religion, les morts prématurées de frères et de soeurs (dans la famille d'Agnes, seules deux enfants sur six survivent), les ravages de l'alcool, les enfants terribles, les employeurs pour lesquels une gouvernante est comme une domestique, etc.

Anne Brontë traite de sujets très particuliers que je n'ai pas lu chez ses soeurs : l'allaitement (son ancienne élève Rosalie se félicite de ne pas avoir à nourrir sa petite fille lorsque Agnes vient la visiter sur son invitation - à la fin du roman), la séparation des époux (Agnes encourage son ancienne élève à quitter son époux qu'elle n'aime pas, qui boit, qui joue et qui la trompe - un thème qu'Anne réutilisera dans son second roman "The tenant of Wildfell Hall", non lu mais dont j'ai vu une adaptation) ou encore le thème de l'expatriation en Nouvelle-Zélande -qui était alors une nouvelle colonie pour l'Angleterre. Je trouve qu'Anne Brontë a un style pur et rafraichissant, on y découvre beaucoup d'elle-même, particulièrement la poésie dont elle vante les bienfaits : en lire ou en écrire pour adoucir les maux du coeur. Nous savons que l'auteur et ses soeurs en écrivaient.
Quand nous sommes tourmentés par le chagrin ou les inquiétudes, ou longtemps oppressés par un sentiment puissant que nous devons concentrer en nous, pour lequel nous ne pouvons obtenir ni chercher aucune sympathie de nos semblables, et que pourtant nous ne voulons ou ne pouvons entièrement étouffer, nous sommes souvent portés à en chercher le soulagement dans la poésie, et souvent aussi nous l’y trouvons, soit dans les effusions des autres qui semblent s’harmonier avec notre état, soit dans nos propres efforts pour exprimer des pensées et des sentiments en vers moins mélodieux peut-être, mais plus appropriés aux circonstances et par conséquent plus pathétiques, et plus propres à alléger le cœur du fardeau qui l’écrase.
Je suis conquise par le style d'Anne Brontë qui, quoiqu'elle n'ait pas choisi de sujet "surnaturel" (ici point de voix entendue par delà les kilomètres, points de revenants) nous propose une histoire d'amour des plus romantiques entre Agnes et Edward.
Quand il fut parti, elle se mit à rire et à se murmurer à elle-même : « Je pensais que je pourrais faire cela !
– Faire quoi ? demandais-je.
– Fixer cet homme.
– Que voulez-vous donc dire ?
– Je veux dire qu’il va rentrer chez lui et rêver de moi. Je l’ai blessé au cœur.
– Comment le savez-vous ?
– Par beaucoup de preuves infaillibles, et spécialement par le regard qu’il m’a adressé lorsqu’il est parti. Ce n’était pas un regard impudent, je ne l’accuse pas de cela, c’était un regard de respectueuse et tendre adoration. Ah ! ah ! ce n’est point le stupide lourdaud que j’avais pensé ! »
Je ne répondis rien, car mon cœur était dans mon gosier, ou quelque chose comme cela, et je ne pouvais parler. « Oh ! que Dieu éloigne de lui ce malheur ! m’écriai-je intérieurement, pour l’amour de lui, non pour moi. »  (p.148)
Nous la vivons du point de vue d'Agnes, la narratrice. L'auteur ne cache pas le côté religieux de son personnage et un passage très intéressant est à relever :
Miss Grey, disaient-elles, était une singulière créature : elle flattait et louait peu ; mais, quand elle parlait favorablement de quelqu’un, on pouvait être sûr que son approbation était sincère. Elle était très-obligeante, douce et paisible ordinairement, mais il y avait des choses qui la mettaient hors de son caractère. Quand elle était de bonne humeur, elle parlait à ses élèves, et se montrait quelquefois très-agréable et très-amusante à sa manière. Elle avait ses opinions arrêtées sur chaque sujet, et y tenait avec fermeté ; opinions très-ennuyeuses quelquefois, car elle pensait continuellement à ce qui était bien et à ce qui était mal, avait un étrange respect pour tout ce qui tenait à la religion, et un goût inexplicable pour les bonnes gens.
un tel passage est très particulier, l'auteur donne la parole à ses élèves qui parlent de leur ancienne gouvernante (on a fait un saut dans le temps !).

Toujours dans l'esprit de la religion, omniprésente dans beaucoup de discours (mais elle est également présente chez ses soeurs dans une moindre mesure), Anne Brontë fait dire à Agnes :
Je crains bien que le lecteur ne soit ennuyé de la folie et de la faiblesse que je viens d’étaler si librement sous ses yeux. Je ne les laissai jamais voir alors, et ne les aurais jamais racontées même à ma mère ou à ma sœur. J’étais une dissimulée profonde et résolue, en cela du moins. Mes prières, mes pleurs, mes espérances, mes craintes, mes lamentations, n’étaient vus que de moi et de Dieu.
On comprend dans ce passage qu'Agnes n'est pas dupe de son propre caractère. Le style est piquant et même si certains passages sont parfois un peu descriptifs (paysages, sentiments) ils ne m'ont pas vraiment paru de trop, car je pense que l'auteur y a mis beaucoup de réflexion et d'explications. Il y a également énormément d'humour, comme dans le passage où Rosalie, la jeune et pédante élève d'Agnes Grey, décrit avec beaucoup de fiel la physionomie du nouveau vicaire Weston (nous pouvons dire qu'il est "rhabillé pour l'hiver" mais c'est très drôle !) :
Oh ! par parenthèse, il a un nouveau vicaire. Le vieux M. Blight a enfin obtenu sa cure tant désirée, et il est parti.
– Et comment est le nouveau ?
– Oh ! une telle bête ! Weston est son nom. Je puis vous faire sa description en trois mots : un insensé, laid et stupide nigaud. J’en ai mis quatre, mais peu importe, en voilà assez sur lui pour le moment. »
J'ai beaucoup aimé l'écoute de cette histoire découverte en audio-livre, une première pour moi ! justifiée par l'envie de lire sans tarder ce roman. Ici, le lien vers la version audio :
http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/bronte-anne-agnes-grey.html


titre original : Agnes Grey
année sortie 1847
225 pages
traduction de l'anglais par Messieurs Charles ROMEY et A. ROLET
illustration d'entrée de billet : "The Governess" par Richard Redgrave (1844)

Commentaires

  1. Il Vous faut lire le deuxieme , l'adaptation sa ne vaudra jamais le livre.

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