Le déjeuner du lundi - Jean DUTOURD


Dans le Paris de l'après 2è guerre mondiale, le père de Jean Dutourd organise dans son cabinet de dentiste un déjeuner accompagné de l'oncle Alfred et de lui-même. Le déjeuner est préparé par la cuisinière qui arrive toujours à se débrouiller pour présenter un repas digne de ce nom avec entrée, plat, dessert, malgré les restrictions en vigueur. C'est aussi le théâtre d'échanges de propos subtils évoquant la société, les relations humaines, la manière dont chacun tente de se débrouiller. Les trois personnages ont chacun leur style : le père dentiste est assez démonstratif, l’oncle fonctionnaire est timide mais facétieux, Jean est journaliste sans le sou et se régale des observations qu'il commente chaque lundi.

Vers 1946, on ne mangeait pas encore à sa faim. Le lundi, j'allais déjeuner chez mon père, qui invitait aussi mon oncle et nous offrait ce qu'il appelait "un balthazar". Ces balthazars, quoique réduits à trois convives, avaient le charme des repas entre hommes. Nous y étions fort attachés. Sans compter que leurs menus tranchaient sur l'ordinaire de la semaine ; je crois que les cartes de rationnement n'ont été supprimées qu'en 1948.

A cette époque, je n'avais écrit qu'un seul livre, Le complexe de César. Je tâchais d'en écrire un second, qui m'ennuyait pour d'excellente raisons que je ne voyais pas : parce que c'était un roman de forme traditionnelle, parce que je prétendais y raconter des évènements que je n'avais pas oubliés, parce que je prenais mes personnages trop au sérieux, parce que je savais d'avance tout ce qui arriverait dans le récit, etc. (p.9)

J'ai beaucoup apprécié cette lecture où transperce l'émotion des souvenirs comme si l'auteur avait voulu confire sa chronique familiale dans un sirop douçâtre. Le rituel du déjeuner agit comme le métronome du souvenir, dans un endroit très peu conventionnel puisqu'il s'agit d'un cabinet de dentiste qu'on n'imagine bien sûr pas du tout comme les cabinets blancs et aseptisés de nos jours.
Une lecture qui fait du bien et qui montre aussi à quel pointil est important de bien vivre et se sa satisfaire des bons moments tant qu'ils durent.

publié en 1947



illustration : Perkins Harnly

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