La Collection invisible - Stefan ZWEIG


Un antiquaire relate une extraordinaire aventure à une connaissance croisée dans un train. Ayant désiré renflouer son stock de marchandises en ces temps d'après-guerre (1è guerre mondiale), l'antiquaire vient de se rendre chez un collectionneur retrouvé dans son livre de comptes afin de lui racheter quelques pièces qu'il pourrait avoir en double. Mais arrivé sur les lieux, la famille du collectionneur lui apprend qu'il y a bien longtemps que les merveilleux documents ont été revendus pour vivre et qu'il ne reste rien de la collection ; le vieillard qui a consacré sa vie et ses économies à l'acquisition de son trésor ne s'est rendu compte de rien car il est devenu aveugle depuis plusieurs années.

... il venait de vanter la finesse de l’impression de son Antiope par Rembrandt (sans doute cet exemplaire avait-il eu, en effet, une valeur inestimable), et ses doigts sensibles avaient suivi avec amour les lignes de la gravure, sans que ses nerfs affinés eussent perçu leur empreinte sur ce papier de rencontre. Alors son front s’assombrit, et un peu gêné il murmura : – C’est pourtant bien l’Antiope ? » Aussitôt, fidèle à mon rôle, je saisis le papier encadré et je me mis à décrire avec enthousiasme et dans ses moindres détails l’eau-forte dont j’avais gardé moi-même un souvenir très précis.

Antiope par Rembrandt

J'ai eu grand plaisir à relire cette nouvelle qui, comme d'habitude, à le don de jouer sur plusieurs tableaux, déjà avec le "récit dans le récit" : l'antiquaire raconte son histoire, laquelle nous est racontée par le narrateur de la nouvelle. Ensuite par le décalage entre l'âpreté de la guerre et ses répercussions vécue par la famille du collectionneur : pénurie, pauvreté, réalité de la survie, et l'illusion entretenue pour épargner le vieillard aveugle qui se contente désormais de vivre avec ses souvenirs.
D'un côté la tristesse et la culpabilité nécessaire, de l'autre, une maladie incurable ais un bonheur illimité. Stefan Zweig n'a pas son pareil pour inviter le lecteur à la réflexion : vaut-il mieux vivre en connaissance de cause quitte à souffrir ou choisir l'illusion de la joie.


Jusqu’à cette heure, nous ne l’avons privé d’aucune de ses joies ; il est heureux de pouvoir, chaque après-midi, feuilleter pendant trois heures ses porte-feuilles, et s’entretenir avec chacune de ses estampes comme avec un ami. Et aujourd’hui… ce pourrait être son jour le plus heureux, puisqu’il attend depuis des années l’occasion de montrer ses trésors à un connaisseur. Aussi, je vous en supplie, les mains jointes… ne détruisez pas son dernier bonheur ! »

publié en 1925, 1935 pour la version française
ici couverture de la nouvelle publication de la collection Dédale
partenariat entre l’École des Arts Joailliers
et la maison d’édition italienne Franco Maria Ricci


Quant à moi, je ressentis quelque chose de solennel en entendant cet homme pathétique qui ne se doutait de rien, me charger, comme d’une mission de confiance, d’administrer sa collection invisible et depuis longtemps envolée.


illustration : Honoré Daumier


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