Nager avec les piranhas Carnet guyanais - Michel ONFRAY


France aux multiples visages et héritages

L'auteur accompagne un photographe dont le projet artistique est de mettre en évidence la mortelle décision du peuple amérindien des Wayanas d'abandonner peu à peu leurs traditions pour adopter des produits étrangers et importés : nourriture et vêtements. Il les photographie dans leur tenue coutumière puis dans la tenue occidentale. Témoin de cette situation, l'auteur dénonce la destruction de leur habitat avec les produits chimiques utilisés pour trouver de l'or ou encore les décisions iniques des "ronds de cuir" politiciens qui pensent savoir mieux ce qui est bon pour la santé physique et mentale. 

Sur la première photo, il porte  aussi les vertus de sa tribu : la fierté, la détermination, la virilité, la superbe, la force, l'affûtage : sur la seconde, les vices de la nôtre : l'arrogance, la suffisance, le narcissisme, l'égotisme, l'insolences, l'avachissement. Sur l'un, il est bien campé sur ses jambes écartées, les mains sur les hanches, cuivré comme un petit dieu de la forêt ; sur l'autre, il est désarticulé comme un rappeur, il grimace avec ses doigts, son regard qui est resté le même n'est plus le même. Ici, il dit l'acuité : là, il signifie la fourberie. (p.32)

Ce court essai est en 2 partie ; dans la première nous suivons Michel Onfray sur sa pirogue sur le fleuve Maroni, et dans la seconde il s'agit de réflexions autour d'un rapport parlementaire absurde qui préconise des solutions inutiles pour enrayer les suicides chez les jeunes. Cette deuxième partie est plus intéressante et presque drôle lorsque Onfray décrit les absurdités préconisées, si ce n'était un sujet aussi grave.


Par dizaines, donc, des enfants se pendent, des enfants se noient, des enfants s'asphyxient, des enfants s'ouvrent les veines, des enfants avalent de l'herbicide, des enfants se tirent une balle dans la tête. Ils n'en peuvent plus de vivre deux vies, autrement dit, de n'en vivre aucune : l'Etat français leur apprend les pyramides et l'agora, Jésus et Voltaire, les Lumières et 1789, la révolution industrielle et le national-socialisme ; s'il n'a pas succombé à l'alcoolisme, leur grand-père leur raconte comment trouver la liane dans la forêt, de quelle manière elle saigne comme un ruisseau quand on la taille, puis ce qu'elle soigne, il explique en baissant la voix la façon dont l'esprit des ancêtres morts vient parler aux vivants la nuit, il rapporte le souvenir qu'il a d'une guérison par la parole du chamane quand les médecins de l'hôpital ne pouvaient rien pour lui. (p.60)

Concernant le style, c'est très insatisfaisant de la part d'un philosophe habitué à la rédaction d'idées : énormément de redites de mots et de phrases et paragraphes entiers, à mon avis il n'y eut aucune relecture de personne, ni de l'entourage, ni de l'éditeur (Gallimard) car on ne compte pas les mots "ontologique", les variations de mot autour de la république jacobine, la peau cuivrée des autochtones et j'en passe.

A bien y regarder, les paragraphes eux-mêmes ne semblent pas correctement placés : j'avais l'impression que l'auteur avait pris des notes et qu'il a voulu les caser à plusieurs endroits de son essai (d'où les redites).

Cela étant, ce n'est pas inintéressant, et cela se lit très vite : 62 pages. La solution de M. Onfray est qu'il faut renoncer à avoir une vision uniforme et centralisée de la France qui s'étale sur tellement de continents.

Dans le cas de la Guyane dite française, si la république voulait sauver sa peau et s'inventer une nouvelle forme, celle qui fut ébauchée en 1798 et décapitée par les robespierristes qui envoyèrent les girondins à la guillotine en 1792, elle pourrait rendre le pouvoir qu'elle a confisqué à ceux sur lesquels il s'exerce.  (p.73)

publié en 2017



illustration : fleuve Maroni en 1885

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