Lectrice de papier

Après la lecture, j'ouvre mon livre en deux comme on brise une coquille et je pose mon nez et ma bouche tout contre les pages. Je respire, profondément. J'ai bien l'intention d'aspirer tout ce que je peux, quelques éléments du papier à la fine odeur de vernis mort. Ce n'est plus une sorte de volume mou et flottant que je tiens, léger comme la bible d'une nouvelle église. C'est autre chose ; une machine amusante que je gobe de toute ma force d'esprit. Je pompe, je touche, je tente de puiser dans ma réserve. Je trouve un endroit enfin, à travers la membrane. Je le vois, l'écrivain laborieux. Je l'imagine. Un jour, il a désiré cette valse de feuilles, et dans une ronde silencieuse il a fait tourner sa langue un millier de fois pour raconter son histoire, belle ou honteuse, épouvantable ou généreuse. Il l'a couvert de son écaille, de sa plume, telle une mère anxieuse, incapable de croire à autre chose qu'à l'éclosion de son œuvre. Je puise en cet instant brouillé l'émotion de lire. Je referme le livre dans un délicieux craquement. C'est si bon d'en faire tout un plat.

2005

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