Syngué Sabour : Pierre de patience - Atiq RAHIMI



De nos jours. Afghanistan (ou ailleurs). Une ville en guerre. Une femme veille son mari blessé d'une balle dans la nuque. Il est allongé, immobile, les yeux ouverts, sans paroles, mais peut-être pas sans pensées. Elle va profiter de son état larvaire pour lui exploser à la face tous ses ressentiments, lui avouer ses secrets, lui parler comme elle n'aurait jamais pu le faire s'il avait été dans un état "normal". Cette fois, il va devenir sa "chose", sa "syngué sabour", cette pierre qui absorbe les douleurs et souffrances avant d'imploser et de permettre de recouvrer la liberté.

 


Difficile de dormir facilement après les dernières lignes d'une telle histoire. D'abord parce qu'elles se sont pas très explicites : nous sommes obligés de choisir entre parabole ou hallucination, car enfin, l'homme se réveille-t-il ? Frappe-t-il sa femme ? Est-ce son imaginaire à elle ? Et puis ce qui dérange, ce sont toutes ces petites bribes de souffrance, femmes mal aimées, mal mariées, mal bais..., ignorantes de l'amour, de simples ombres vivant dans la crainte, la peur, d'être égorgée violentée, violée, d'avoir faim, de manquer d'eau, de dormir sans rêve. Une vie sans amour est-elle concevable ? Au prix de quelle survivance ?

Les bruits de la guerre, les tirs, le feu, les cris se mêlent dans l'agonie des espoirs. Vous comprendrez que cette histoire ne se lit pas d'une seule traite, pas pour moi. Il a fallu que je m'y plonge au compte-goutte, à l'image du goutte à goutte qui relie la poche de sérum à l'homme cataleptique. Car il faut s'imprégner de cette souffrance à petite dose.

Une histoire terrible que celle de cette femme qui, bien que mariée de force, finit par aimer cet époux de marbre. Cet inconnu effrayant qui ne lui parle pas, qui la possède maladroitement, qui ne sait même pas qu'elle existe, qui lui demande de "cacher sa viande" sous ses habits ! Chapeau à l'auteur qui a su si bien traduire les (res)sentiments féminins !

Le décor maintenant : la terre, la pierre, la nuit, le soleil au travers des rideaux imprimés des oiseaux migrateurs (image récurrente), le vert du rideau qui sépare la chambre du cagibi et le rouge du sang ; noir, rouge, vert : les couleurs du drapeau Afghan. 

Rouge comme le sang de la mort, de la vie, de la virginité, de la menstruation. Tous ces sangs qui semblent ne "purifier" que les âmes folles ou affolées. La femme devient ivre, ivre de colère, ivre de reproches, ivre de paroles. Elle ne se reconnaît plus, elle, l'insoumise devient une sorte de furie, une démone : non ! elle n'est que l'habitante égarée d'un nid maudit, abandonnée des siens, abandonnant elle aussi peu à peu ses repères. Elle voudrait abattre les murs élevés autour de ses rêves d'amour et de liberté. Et nous avec. Mais nous ne pouvons que constater notre impuissance. Un livre troublant qui me touche.

Elle s'approche encore du rideau, déplace légèrement les matelas qui dissimulent la cachette. Elle regarde son homme droit dans les yeux vitreux, et dit : "J'espère quand même que tu arrives à saisir, à absorber tout ce que je te dis, ma syngué sabour." Sa tête dépasse légèrement du rideau. "Peut-être que tu te demandes d'où je peux tenir tout cela ! Oh, ma syngué sabour, j'ai tant de choses à te dire encore..."

sorti en 2008

Illustration d'entrée de billet : Argante

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