Trois femmes puissantes - Marie NDIAYE



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Dakar. Enrichi suite au rachat de Dara Salam, un village de vacances, et aujourd'hui ruiné, le père de Norah, avocate à Paris, la presse de venir. Il s'agit de défendre son fils Sony, le frère de Norah. Sony, qui s'est accusé du meurtre de sa belle-mère, la nouvelle femme de son vieux père, et dont il a eu des jumelles (leur nounou est Khady). Que s'est-il passé pour que le petit prince chéri de son père, l'enfant gâté et riche, enlevé à sa famille l'année de ses 5 ans, soit aujourd'hui enfermé à Reubeuss ? Quel monstre s'est assis sur son ventre pour ne plus se relever ?

2/
Abel Descas, l'ancien propriétaire de Dara Salam a assassiné son associé africain avant de se suicider dans sa prison de Reubeuss. Alors âgé de 5 ans, son fils Rudy, est reparti en France d'où il est revenu adulte et professeur. C'est au lycée Mermoz qu'il rencontre Fanta, puis ils se marient, ont un fils Djibril. Accusé d'être le fils d'un assassin par des élèves, Rudy les tabasse, ce qui lui vaut une mise à pieds et l'oblige à rentrer en France où plus rien ne sera pareil.

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A la mort de son mari dont elle n'a pu enfanter, Khady se retrouve sans ressources et à la merci de l'indifférence de sa belle-famille qui ne tarde pas à l'expédier clandestinement en Europe où elle doit retrouver sa cousine Fanta et assurer l'envoi d'argent. Mais Kadhy refuse de s'embarquer et traverse de douloureuses épreuves avant de trouver sa seule liberté possible.

 


Dire que pour moi, il s'agit bien d'un roman et pas de 3 nouvelles comme j'ai pu le lire et l'entendre. Roman dont l'unité est complexe, mais bien réelle. C'est un roman qui parle de l'Afrique, dont les héros sont blancs et noirs, tous sont des pions dans le grand jeu du hasard comme sur un échiquier. Les histoires des personnages sont imbriquées comme les motifs d'un tissu africain, d'ombres et de lumières. 

Dans le premier récit, nous sommes Norah, perdue à l'heure des retrouvailles avec ce père qu'elle redoute, qu'elle exècre, qu'elle identifie à un oiseau qui va se nicher le soir dans le grand flamboyant à côté de la maison.

Dans le deuxième récit, Rudy se débat avec sa culpabilité d'avoir arraché sa femme à son pays et d'avoir causé sa perte, ou plutôt sa morne déconvenue de n'avoir pas retrouvé un travail équivalent à celui qu'elle exerçait dans son pays. Fanta qu'il imagine être devenue une buse chargée de fondre sur lui désormais comme pour le punir.

Et pour achever ce roman, nous suivons Khady, obligée de se réfugier dans un certain abandon de son corps de souffrance. La faim, la soif, la douleur, ne lui sont plus rien dans sa bulle de rêve. Elle n'est plus de ce monde et rien ne peut lui arriver. Elle vole.

Parce que leur fils unique l'avait épousée en dépit de leurs objections, parce qu'elle n'avait jamais enfanté et qu'elle ne jouissait d'aucune protection, ils l'avaient tacitement, naturellement, sans haine ni arrière pensée, écartée de la communauté humaine, et leurs yeux durs, étrécis, leurs yeux de vieilles gens qui se posaient sur elle ne distinguaient pas entre cette forme nommée Kadhy et celles, innombrables, des bêtes et des choses qui se trouvent aussi habiter le monde. (p.256)

Chaque femme s'échappe d'une réalité insupportable, à leur manière : oubli du passé, oubli de soi, oubli de ses désirs. Elles deviennent des oiseaux, libres de se déplacer dans un ciel bienveillant, sans frontières, sans entraves, sans jugements. Globalement, c'est un roman puissant mais j'ai pourtant eu du mal à accrocher à cette lecture. Ce n'est pas les personnages eux-mêmes que j'ai trouvé peu attrayants, pas du tout, au contraire, ils sont très attachant. Non c'est plutôt le style qui ne colle pas avec ce que j'aime lire. Un style trop travaillé et qui ne fait pas "naturel", avec lequel je n'ai pas pu me fondre. La touche mystérieuse est bien vue, elle apporte l'onirisme, le côté magique, "vaudou", à cette histoire africaine.

Au fil de la lecture, j'ai très vite songé à la trilogie de Krzysztof Kieślowski : Bleu, Blanc, Rouge, car comme dans ces films, il y a la présence de personnages qui se croisent sans se rencontrer, qui fréquentent les mêmes espaces en un temps décalé, qui s'effleurent sans se reconnaître. Je n'aime pas trop le titre que je ne trouve pas particulièrement bien choisi : d'abord, il n'est pas vraiment question de trois femmes pour moi, car Fanta est trop en retrait d'un récit plutôt focalisé sur les sentiments de son mari Rudy. Ensuite, elles ne sont pas vraiment puissantes. Ou plutôt, une seule d'entre elles l'est : Khady, la plus miséreuse, la moins instruite, la plus faible, la plus humiliée, la seule qui n'a rien d'autre qu'elle même pour se sauver, mettre son âme à l'abri de l'adversité.

Ils arrivèrent enfin dans une zone déserte éclairée de lumières blanches comme un éclat lunaire porté à incandescence, et Khady aperçut le grillage dont ils parlaient tous.

...elle voulait monter encore et se rappelait qu'un garçon lui avait dit qu'il ne fallait jamais, jamais s'arrêter de monter avant d'avoir gagné le haut du grillage, mais les barbelés arrachaient la peau de ses mains et de ses pieds et elle pouvait maintenant s'entendre hurler et sentir le sang couler sur ses bras, ses épaules, se disant jamais s'arrêter de monter, jamais, répétant les mots sans plus les comprendre et puis abandonnant, lâchant prise, tombant en arrière avec douceur et pensant alors que le propre de Khady Demba, moins qu'un souffle, à peine un mouvement de l'air, était certainement de ne pas toucher terre, de flotter éternelle, inestimable, trop volatile pour s'écraser jamais, dans la clarté aveuglante et glaciale des projecteurs. (p.315)

sorti en 2009


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