Les veuves de Malabar Hill - Sujata MASSEY


Bombay, année 1921. Perveen Mistry, qui travaille dans le cabinet d'avocat de son père, n'a pas le droit de plaider au tribunal mais contribue au traitement d'affaires délicates confiées au cabinet, en particulier lorsqu'il s'agit de traiter la succession de Farid, un important industriel, et d'approcher les trois veuves qui sont en deuil et qui observent la purdha, pratique musulmane obligeant les femmes à ne pas être en présence d'un homme. Peu après avoir vérifié auprès des veuves leur consentement quant à leur héritage, Mukri, l'homme que leur époux avait mandaté pour servir d'intermédiaire entre elles et le monde extérieur est sauvagement assassiné dans une partie de la maison. Perveen cherche à démêler les différentes déclarations des bégums (les veuves), de leurs enfants et des domestiques de la maison ; mais en s'approchant de la vérité, elle risque sa vie.


Il y avait bien longtemps que je n'avais pas été passionnée à ce point par une enquête et, cerise sur le gâteau, dans ce roman on peut explorer davantage encore, en immersion dans le monde très particulier des religions parsie et musulmane. 
Résidence Malabar Hill


Le cadre de l'enquête nous emporte à Malabar Hill, un quartier résidentiel prisé de Bombay (= Mumbai) où vivaient les colons Britanniques et l'élite indienne depuis la fin du XIXè siècle dans de luxueuses résidences non loin d'anciens sanctuaires hindous. Perveen y interroge tour à tour les veuves : Razia, la première épouse qui hérite d'un terrain ou se trouve l'usine des Farid, Sakina, la seconde épouse qui hérite de bijoux, et la dernière : Mumtaz, qui hérite des ses instruments de musique. D'après Mukri, les veuves sont d'accord pour abandonner leur part d'héritage au profit de la fondation, mais Perveen découvre qu'il n'en est rien.
Taj Mahal Palace Hotel (où se rend Perveen plusieurs fois)


Perveen est de religion Parsie et l'on découvre les coutumes, certaines très arriérées lorsque le roman nous projette dans le passé, en 1916 lorsqu'elle rejoint sa belle-famille après son mariage (malheureux) avec Cyrus. Elle découvre les mœurs dépassées des parsis de Calcutta, notamment lorsqu'elle a ses règles.

-Les parsis orthodoxes observent cette coutume de l'isolement pendant les règles, dit-il en hochant la tête. ce serait fort peu probable que vous puissiez concevoir pendant cette période.
- mais l'isolement et le fait que je ne sois pas autorisée à prendre un bain ne peuvent être bon pour la santé, insista Perveen. ce n'est pas comme ça que j'ai été élevée.
-Même si vous êtes parsi ?
-Je suis issue d'une famille moderne de Bombay, répondit--elle avant d'ajouter aussitôt : pour être franche, je vis très mal l'isolement. je redoute ce moment pendant tout le mois. cela a commencé à affecter mon sommeil et mon humeur.
-Comment ça ?
Lui adressant un regard plus appuyé, il pris son stylo et commença à prendre des notes.
- Je fais de terribles cauchemars. je rêve que je me trouve dans cette petite pièce, même quand je n'y suis pas, expliqua-t-elle en se rappelant les rêves de la semaine précédente. Je me sens triste et désespérée. Cela me met en colère contre mon mari. Il ne me défend pas contre ses parents, bien qu'il pense que cette coutume soit d'un autre âge. (p.221)

Alternant présent et passé, nous découvrons la difficulté pour une femme de pouvoir travailler, même en ayant des diplômes, de pouvoir de promener sans chaperon, et.. c'est ce que j'aime dans certains romans policiers : découvrir la vie quotidienne au coeur d'une enquête qui n'est pas le seul premier plan. 


A la fin du roman, l'auteur indique que son héroïne est inspirée de la 
première femme avocate en Inde : Cornélia Sorabji, son parcours exceptionnel sert de terreau pour une fiction qui replace dans le contexte du début du XXè siècle le droit des femmes, à la vie civile comme dans le foyer, les pratiques religieuses, les niveaux sociaux (maître et servants) et l'indépendance de l'Inde sous domination anglaise à cette époque.

On découvre au fur et à mesure, que Perveen a pu aller étudier à Oxford où elle fait la connaissance d'Alice Hobson-Jones, dont le père est un haut-fonctionnaire. J'avoue que le personnage d'Alice n'est pas le plus intéressant ni le plus important du roman, même si elle participe un peu à l'enquête vers la fin. Il est probable qu'on retrouve son personnage dans les romans suivants car le binôme d'amies illustre le combat des deux femmes pour faire valoir leur droits dans un monde patriarchal.

Après la lecture, il reste un sentiment d'espérance que la pratique immonde durant les règles n'existe plus de nos jours (enfermée une semaine par mois dans les odeurs pestilentielles d'urine et de crasse). Hélas, la coutume des mariages entre époux qui ont une grande différence d'âge, la polygamie, ou encore le droit de prendre pour épouse des filles de 15 ans persiste on le sait ! Et le fil conducteur est la personnalité de Perveen qui ne se laisse jamais faire, qui se révolte contre toute injustice, à commencer par sa propre situation : elle incarne l'émancipation, raisonnable cela s'entend pour qu'un femme puisse vivre heureuse et pas dans l'ombre d'un mari.



Ceci est le premier tome d'une série qui en compte déjà quatre (2 : "La Malédiction de Satapur", 3 : "Le Prince de Bombay", et le dernier non traduit "The Mistress of Bhatia House").

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