Magritte commenté par ses amis


Une anthologie énigmatique

Le livre présente la publication de texte, articles de presse ou d'exposition dans l'ordre de publication, par différents auteurs amis et contemporains du peintre surréaliste belge René Magritte (1898–1967). Cette anthologie est de très bonne facture littéraire, parfois un peu trop absconse, mais il parait qu'il faut chaque jour lire un texte difficile pour garder le cerveau en émoi, j'ai donc eu ma dose.

Et que l'on veuille bien observer que penser un objet ne saurait se borner à engendrer en soi une représentation plus ou moins passive. Penser un objet, c'est l'interroger dans ce qu'il a d'essentiel et de spécifique. C'est le remettre en question, avec toute la précision dont l'esprit est capable. C'est en attendre une réponse qui modifie les rapports que cet objet entretient avec le reste de l'univers et avec nous-mêmes, réponse qui l'illumine en même temps qu'elle nous éclaire.
(p.66 Paul Nougé "René Magritte ou les images défendues, 1933)

Magritte, un peintre de ma jeunesse

J'ai découvert le peintre au collège (dans les années 70) car l'un de ses tableaux (La mémoire, 1948) illustrait un texte dans mon livre de français. J'ai de suite été attirée par l'expression originale de ce tableau et je n'ai jamais cessé de m'entourer de beaux livres ou d'objets de son univers poétique à mes yeux.

J'ai repéré ce livre à la librairie du centre Pompidou lors de ma visite en septembre dernier et l'ai acheté sans trop savoir le contenu, espérant y lire quelques témoignages inédits sur l'artiste.

La vie est un oiseau géant qui a pondu et couvera tous les possibles ; peut-être que les premiers vont-ils être les derniers, les derniers les premiers, mais tous seront, sont et furent en même temps, ailleurs dans le temps, ici et partout. 
p.97, "En parlant un peu de Magritte" par  Louis Scutenaire, 1955

Rétrospectives sans image

Les nombreuses références auraient nécessité des images car seule une minorité peut s'enorgueillir de connaitre le millier de tableaux que le peintre a laissé à la postérité. Par exemple, il débuta sa carrière dans les années 20 avec une expression plutôt cubique comme ce portrait :
The model (1922)

puis s'affirma dans le surréalisme / fiction :
The voice of space (1928)

avant de terminer dans une période plus classique mais toujours à la frontière du réel comme dans ce tableau que j'aime et que j'ai utilisé pour mon premier avatar de Wictoriane sur mon blog "Chronique des Temps perdus" lors de la création du site en 2004
The blank signature (1965)

L'amazone est à la forêt, qui est à l'amazone. Si bien qu'ils ne peuvent être eux-mêmes s'ils ne sont pas l'autre, en même temps. D'ailleurs, si vous pensez à l'amazone, vous la voyez parmi les arbres. Exact ?
p.172, Irène Hamoir, "L'homme-objet" dans Catalogue de l'exposition René Magritte, Londres, 1961

En conclusion

Ceci est un livre à la lecture assez complexe qui demande une attention studieuse mais qui a le mérite d'être lu puis abandonné plusieurs jours sans rien perdre.

Un bon tableau, fidèle et égal au rêve qui l'a enfanté, doit être produit comme un monde. De même que la création telle que nous la voyons est le résultat de plusieurs créations dont les précédentes sont toujours complétées par la suivante, ainsi un tableau, conduit harmoniquement, consiste en une série de tableaux superposés, chaque nouvelle couche donnant au rêve plus de réalité et le faisant monter d'un degré vers la perfection.
(p.58, Paul Nougé "René Magritte ou les images défendues, 1933)


Vous trouverez bien plus de grandes phrases alambiquées sur les peintures, les expositions, les inspirations, les autres artistes dans la sphère de Magritte que de véritables réflexions et témoignages sur l'artiste lui-même (il y en a un petit peu tout de même).

Jamais le désir du gain ou de la gloire ne l'a poussé. L'argent, pour lui, devait lui permettre d'acquérir du pain, des fruits, "un bon morceau de porc", du papier, de la toile, de satisfaire à ces exigence que l'on dit vitales. Quant à la célébrité, il lui préférait de loin sa bonne conscience, l'assentiment de ses amis, le minimum de contraintes, d'affectueuses connivences. Bien qu'il s'insurgeât parfois violemment à la fois contre les critiques ineptes et les éloges inconsidérés, il m'a toujours semblé qu'il préférait les gémonies aux cérémonies.
(p.199, Louis Scutenaire "René Magritte comme je l'ai connu", 1978)
 
 

publié en 2024


Illustration d'entrée de billet : René Magritte, La Trahison des images, 1929

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