L'énigme Modigliani - Eric MERCIER
1/ Paris, 1918. Aliza Lodève, une jeune journaliste fait la connaissance du peintre Modigliani, grand coureur de jupon ; il peint son portrait et lui offre avant de retourner auprès de sa compagne qui vient de lui donner un enfant.
2/ Paris, dans les années 2020 (certains protagonistes se rendant en vacances en Russie, je suppose qu'on est plutôt en 2019). Le corps d'un homme, qui se trouve être un faussaire allemand vivant désormais en France après avoir purgé sa peine de prison, est retrouvé ébouillanté et pendu dans une décharge du Val de Marne. L'enquête est confiée au Commandant Frédéric Vicaux, Brigade criminelle.
3/ Paris, même époque. Anne, une historienne de l’art spécialisée dans la recherche et la restitution de tableaux spoliés aux juifs durant la seconde guerre mondiale remarque un tableau inconnu de Modigliani "Aliza" dans le catalogue d'une salle des ventes. Elle cherche à retrouver le propriétaire actuel du tableau afin de le restituer au descendant d'Aliza. Anne est également la compagne du commandant Frédéric Vicaux.
(*) Un catalogue raisonné dresse l’inventaire le plus complet possible des œuvres d’un artiste
"Imbroglio pour un tableau"
Avec ce livre je découvre une série policière autour du personnage Frédéric Vicaux, commandant à la PJ de Paris, désormais installée dans le 17è arrondissement et appelée "le bastion". C'est le 5è tome des enquêtes du personnage inventé par l'auteur : Éric Mercier, docteur en histoire de l’art et commissaire d’exposition qui y distille de nombreuses procédures tant dans le milieu de l'art que celui de la PJ.
Précédents tomes
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Le récit se déroule sur 2 temporalités et autour de 3 narrations :
- - à la première personne pour le Commandant Vicaux
– C’est donc ça, le fameux « Bastion » ? C’est moderne. Elle n’a pas tort. Le déménagement du 36 dans le 17e a changé la donne. Fini les coursives et les couloirs étroits aux peintures défraîchies. Les bureaux étriqués. Les escaliers interminables revêtus d’un affreux Balatum noir et usé. Je n’ai pas l’opportunité d’épiloguer, Laetitia nous interrompt : – Désolée de vous déranger, commandant, dit-elle en entrebâillant la porte de mon bureau, mais on a un homicide. Une commission rogatoire vient de tomber.
- - narration omnisciente pour le récit d'Aliza
Aliza tend l’oreille. L’un d’eux est italien, constate-t-elle, l’autre peut être slave. Elle sursaute quand elle les entend parler d’Apollinaire. – Il n’a jamais rien compris à ma peinture. « Trop sage » d’après lui. De toute façon, il n’en avait que pour Picasso, affirme le costume brun en roulant les « r ». – Picasso et ses copains surréalistes. De la merde tout ça ! renchérit l’autre. C’est pas ça la vraie peinture. – Dire que j’ai peint son portrait. Il y a trois ans, avant qu’on se foute sur la gueule. Quand Aliza tourne la tête dans leur direction, ses yeux myosotis croisent ceux de l’Italien aux sourcils broussailleux. Le peintre la déshabille du regard avant de lui adresser un sourire conquérant. Un échange lourd de conséquences sans lequel des vies auraient été épargnées.
- - narration à la 3ème personne pour les recherches d'Anne.
Anne pense avoir terminé sa lecture quand un tableau inconnu attire son attention : Aliza. L’œuvre très aboutie représente une jeune femme lascive assise dans un fauteuil. Un visage stylisé réduit à quelques traits accusés. Un corps étiré. Des yeux en amande placés de façon asymétrique. Des lèvres en forme de cœur. Des couleurs sobres limitées aux tons de terre, de bruns et de rouges. Le recours au cerne. Tout ce qui fait le charme de Modigliani. La toile ne possède pas de pedigree. Qui donc se cache derrière ce prénom ? Qui est cette jeune femme dont elle n’a jamais entendu parler ? Cela l’intrigue.
J'ai lu une épreuve "non corrigée" dont je ne pourrais critiquer entièrement la fluidité de lecture, cependant, j'ai eu beaucoup de mal à passer d'un récit à l'autre vu la multiplicité des points de vue ; je pense qu'un chapitrage dûment titré voire avec incipit / résumé aurait toute sa pertinence, d'autant que le roman est assez long.
L'enquête autour de l'identité d'Aliza est intéressante et l'immersion que fait l'auteur sur la période de 1918-1919 ressemble bien à ce que j'ai pu lire et découvrir en visitant le musée Foujita l'année dernière. J'ai été beaucoup moins convaincue par l'enquête policière et la découverte du meurtrier du faussaire : les nombreux personnages qui interagissent, l'usurpation d'identité en 1942, la vengeance, puis un dénouement trop farfelu. En revanche, chapeau pour m'avoir menée sur plusieurs fausses pistes : avec le nombre impressionnant des personnages impliqués et leur apparente culpabilité, je n'y ai vu que du feu. Il se peut que je m'intéresse aux autres enquêtes du commissaire car le monde de l'art n'est pas tellement représenté dans la littérature policière, en tout cas je n'en connais pas d'autre.
Il ruminait depuis des mois. Il avait passé chaque minute de chaque jour à échafauder une vengeance à la hauteur de son ressentiment. Jusqu’à cette fameuse journée où, en déplacement à Saillon pour rencontrer un investisseur, il s’était rendu au musée de la Fausse Monnaie pour passer le temps avant son rendez-vous. Dans l’une des salles, une vidéo avait retenu son attention : « Châtiments de faux-monnayeurs. Ils n’étaient pas seulement exécutés, mais subissaient des supplices terribles. ». Brûlés vifs, amputés ou ébouillantés ou encore pendus sous le haut Moyen Âge.
publié en février 2025 |
La ressemblance entre la toile de Modigliani et la photo du Mémorial de la Shoah est frappante. Petite bouche en cœur ayant du mal à sourire. Visage longiligne. Yeux en amande accentués par le peintre. Cheveux acajou sombre. Aliza Lodève sublimée par l’artiste. Anne tient l’identité du modèle du mystérieux tableau, elle en est persuadée. Il lui reste désormais à identifier ses propriétaires successifs, tâche infiniment plus ardue. Mais c’est sa spécialité, et Modigliani, elle connaît. Mort précocement à trente-cinq ans d’une méningite tuberculeuse contractée dans sa jeunesse, il laisse une œuvre d’à-peu-près quatre cents toiles, pour l’essentiel vendues par ses deux marchands : Paul Guillaume puis Leopold Zborowski, ou par son ami le docteur Alexandre. Un pedigree d’ordinaire précisé dans le catalogue raisonné, excepté pour Aliza. Modigliani ne négociait pas ses toiles lui-même, Anne en déduit donc que le tableau n’aurait pas été peint pour être vendu mais offert. À son modèle, sa maîtresse ? Comment retrouver la trace de cette femme ? Dans l’annuaire téléphonique des années 1940 ?
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