Le joueur d'échecs - Stefan ZWEIG


Au cours d'une traversée sur un paquebot voyageant de New York à Buenos Aires, le narrateur et son ami entament une partie qui attire l'attention de Czentovic, le champion du monde qui se trouve être ennuyeux au possible en dehors des parties qu'il gagne sans fausse modestie, fort de sa supériorité. Arrive alors un inconnu qui leur donne des indications pour contrer les mouvements du maître qui a accepté de jouer une partie, celle-ci s'achève en partie nulle. Cherchant à produire une partie le lendemain entre le champion et l'inconnu qui s'y refuse car il ne s'estime pas à la hauteur n'ayant pas joué depuis 20 ans, le narrateur obtient les confidences de monsieur B. qui lui explique l'origine de sa pratique. Autrefois avocat durant la guerre il a été dénoncé pour avoir défendu les biens de l'église et de la monarchie autrichienne. Pour le faire avouer et récupérer l'argent mis en sécurité, monsieur B. fut enfermé des années avec pour seule compagnie un livre de parties d'échecs volé à l'un des gardiens nazis. Commence alors pour lui une longue descente aux enfers lors de parties d'échecs mentales qui finissent par le rendre fou. C'est l'internement qui le sauva de sa geôle avec pour recommandations du psychiatre de ne plus jamais jouer aux échecs sous peine capitale de rechute.


Une histoire de torture morale, où l'isolement d'un être le force à plonger en lui-même vers une lente et cruelle folie. Dans un premier temps, l'attrait d'une occupation va sortir le condamné de son ennui mais sera aussi la condamnation à une solitude insupportable, puisqu'il vient à dédoubler sa personnalité pour devenir soit le joueur des blancs soit le joueur des noirs.

Comme toujours chez Zweig, une histoire étonnante, bien écrite avec une histoire dans l'histoire : celle du voyage sur le paquebot puis le récit de l'enfermement et ses dramatiques conséquences.

Car j’avais maintenant une activité, absurde ou stérile si vous voulez, mais une activité tout de même, qui détruisait l’empire du néant sur mon âme. Je possédais, avec ces cent cinquante parties d’échecs, une arme merveilleuse contre l’étouffante monotonie de l’espace et du temps.
Lors de ma première lecture, j'ai lu le roman en un soir, à l'époque durant quelques heures volées à mon temps libre (ayant en ce temps là deux enfants en bas âges). Quand on commence ce genre de livre, on ne peut pas le lâcher car comme toujours chez Zweig, une histoire étonnante très bien écrite.

Lors de la seconde lecture hier soir (mes enfants ont plus de 20 ans désormais), je n'ai pu m'empêcher de penser tout du long que le récit était une sorte de conte : Zweig dénonce que la torture mentale peut être aussi puissante que les sévices physiques et surtout que la folie peut mener à la mort. Récit d'autant plus tragique lorsque l'on sait que ce fut le dernier écrit de l'auteur publié après sa mort. Et ce vocabulaire poétique et poignant, qui prend le cœur, et ne laisse qu'une seule envie, dormir pour rêver d'écrire une histoire aussi puissante.

Vint alors l’interrogatoire. Il exigea de moi un plus gros effort que jamais, car toute mon attention se concentrait sur le livre et sur la façon dont je le tenais, plutôt que sur ma déposition. Par bonheur, l’audience fut courte ce jour-là et je rapportai le livre sain et sauf dans ma chambre. Je vous fais grâce des détails, il glissa bien une fois fort dangereusement à l’intérieur de mon pantalon pendant que je longeais le couloir, et il me fallut simuler un violent accès de toux pour me courber en deux et le repousser discrètement sous ma ceinture. Mais quel instant inoubliable que celui où je me retrouvai dans mon enfer, enfin seul, et cependant en cette précieuse compagnie.
1943

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