Le soleil des Scorta - Laurent GAUDÉ


Italie. 1870. Un homme, Luciano Mascalzone, un vaurien sort de 17 années de prison et se dirige vers Montepuccio, le village cause de son malheur. Une femme le hante et il veut la rejoindre et la posséder, quoiqu'il lui en coûte. Il se présente devant sa maison, une femme ouvre la porte, sans un mot. Ils s'aiment dans une sorte d'inéluctable rencontre. Il ne sait pas encore que celle qui fait de lui un homme n'est pas celle qui l'obsède, mais sa soeur cadette. Quelques heures plus tard, il meurt, lapidé par le village, laissant derrière lui un être qui sera le premier fruit de la lignée des Scorta.

 


Sans la bibliothécaire qui m'a affirmé "vous verrez, c'est très bien écrit", je n'aurai à priori jamais lu ce livre. D'une part, l'auteur m'est totalement inconnu, de l'autre, je me méfie des romans ayant reçu un prix, car je me demande toujours si cela ne cache pas un arrangement entre éditeurs et professionnels critiques.

L'enfant, Rocco, devient riche, truandant par ci par là. Il fait trois enfants à la Muette : une fille Carmela, et deux garçons Domenico et Guiseppe. Juste avant sa mort, il donne sa fortune à l'église, les siens sont ruinés. Les trois enfants partent pour l'Amérique. Le drame est que, malade, Carmela est interdite de séjour et doit repartir. Refusant de se séparer, les trois frères et soeur quittent Ellis Island pour l'Europe et retournent vers leur destin de pauvres. Mais ils s'en sortent. Grâce au bureau de tabac pour lequel ils brûlent leur vie en vendant "ces petits bouts de papier que d'autres transforment en fumée". Et chacun fonde une famille. Carmela a deux fils Donato, le pêcheur, et Elia, qui lui donnera sa petite-fille, Anna.

De Luciano à Anna, c'est 5 générations qui se dessinent avec délicatesse, avec amour, émotion, pudeur, sous le soleil d'Italie, imperturbable, faisant couler la sueur, faisant bouillir le sang des hommes qui luttent pour survivre, simplement, car tels les olives, les Scorta sont les enfants éternels du soleil. 

Le récit est ponctué des confidences que Carmela, qui, se voyant perdre la mémoire, se hâte de confier ses secrets à l'ancien curé du village, qu'elle charge de tout raconter à Anna quand elle aura l'âge.

Défilent avec la voix de Carmela ses souvenirs d'enfant, puis d'adulte. La main de son père sur ses cheveux comme une ombre funeste. Ses deux frères aimés, puis le troisième frère, Raffaele, l'ami de toujours, adopté par ses frères et soeur à l'instant où il accepta de déterrer la Muette, leur mère, pour l'enlever de la fosse commune et la placer dans une terre vierge et neuve. 

De ce jour, Raffaele comprit qu'il n'avait pas le droit d'avouer son amour à Carmela. Il le fera plusieurs dizaines d'années après, à la mort de l'époux de celle-ci. Ce roman est un bijou. Tout y est admirable : le style, la forme, les sentiments qu'il véhicule. Il y court la vie, et plus encore, il y court l'envie de la vie. Un livre que je ne pense pas oublier de sitôt. (Prix mérité de mon point de vue).

Lorsque je serai morte ou lorsque je ne serai plus qu’un vieille poupée qui ne sait plus parler, vous lui direz à ma place. Anna. Je ne connaîtrai pas la femme qu’elle sera mais je voudrais qu’il reste en elle un peu de moi.


sorti en 2004

Illustration : Attilio Pratella

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