Gigi - Colette

Jeanne Fichel-Samson : Tea in the Conservatory


Le contenu d’une corbeille à ouvrage se déversait à demi sur la table à manger, où Gilberte oubliait ses cahiers. Au-dessus du piano droit, un agrandissement photographique d’après Gilberte, âgée de huit mois, faisait pendant au portrait à l’huile d’Andrée, dans un rôle de Si j’étais Roi… Un désordre sans vilenie, un rais de soleil printanier dans la guipure des rideaux, une chaleur rampante venue de la salamandre entretenue à petit feu, agissaient comme autant de philtres sur les nerfs de l’homme riche, solitaire et trompé.
– Est-ce que vous êtes positivement dans la peine, mon pauvre Gaston ?
– À proprement parler, je ne suis pas dans la peine, je suis plutôt dans l’em…, enfin dans l’ennui.
– Si je ne suis pas indiscrète, reprit Mme Alvarez, comment ça vous est-il arrivé ? J’ai bien lu les journaux ; mais peut-on se fier à eux ?
Lachaille tira sur sa petite moustache relevée au fer, peigna de ses doigts sa grosse chevelure taillée en brosse.
– Oh ! la même chose à peu près que les autres fois… Elle a attendu son cadeau d’anniversaire, et puis elle s’est trottée. Maladroite, avec ça, au point qu’elle est allée se fourrer dans un coin de Normandie tellement petit… Ça n’a pas été sorcier de découvrir qu’il n’y avait que deux chambres à l’auberge, une occupée par Liane, l’autre par Sandomir, un professeur de patinage au Palais de Glace.

1/ Mon résumé de Gigi

Paris en 1899. Gilberte, dite Gigi, a 15 ans et vit avec sa mère Andrée et sa grand-mère Inès et se rend parfois chez sa grand-tante Alicia. La famille Sanchez vit sur un modeste train grâce au travail d'Andrée, danseuse à l'Opéra comique et l'éducation de Gigi est laissée aux femmes plus âgées qui lui inculquent non seulement les bonnes manières mais aussi comment se comporter dans le "grand monde" afin de plaire aux hommes et en retirer quelques bénéfices.
Gaston Lachaille, un ami de la famille, les visite régulièrement, s'invitant sans y être annoncé, surtout après une rupture amoureuse largement commentée dans les journaux car c'est un richissime héritier de 30 ans constamment courtisé et abandonné. Il trouve un apaisement satisfaisant au contact de la famille Sanchez et finit par prendre conscience de la beauté de Gigi ; celle-ci refuse pourtant ses avances et le sort d'une demi-mondaine qui ne convient pas à sa nature entière. Gaston comprenant qu'il est peut-être temps de s'établir et d'assurer sa lignée demande sa main.



Après ma visite de l'expo "Les mondes de Colette" (suivre le lien pour lire mon avis), je suis passée à la librairie et j'ai aperçu ce livre aussi j'ai eu envie de le lire ou relire. Écrit en 1944, Colette a alors 71 ans, mais reste jeune dans sa tête et dans ses mots qui sonnent justes pour décrire les mondanités auxquelles elle n'a certainement pas manqué de participer en son temps.
Gaston a une telle confiance en moi ! Je voudrais que tu l’aies vu me demander une camomille… Un enfant, un véritable enfant. D’ailleurs, il n’a que trente-trois ans. Et quel poids que cette fortune sur ses épaules ! Andrée cligna ses paupières roses avec ironie.
– Plains-le, maman, pendant que tu y es. Ce n’est pas pour réclamer, mais, depuis le temps que nous connaissons Gaston, il ne t’a guère montré que sa confiance.
– Il ne nous doit rien. Et nous avons toujours eu par lui du sucre pour nos confitures, et pour mon curaçao, de temps en temps, et une volaille de ses fermes, et des attentions pour la petite.



J'ai trouvé presque "limite" la relation entre Gigi qui a presque 16 ans et Gaston qui en a le double mais je suppose que les mœurs de ce temps là trouvaient cette différences d'âge normale. J'ai bien ri lors de ce passage :

Car Mme Alvarez avait fortement inculqué à sa descendance, entre autres vertus, le respect de certains rites et de maximes telles que : « La figure, tu peux, à la rigueur, la remettre au lendemain matin, en cas d’urgence et de voyage. Tandis que le soin du bas du corps, c’est la dignité de la femme. »

je pense que certains lecteurs de l'époque ont dû être scandalisés et que Colette a pris beaucoup de plaisir à tourner ainsi sa phrase. 


A la suite de cette nouvelle, trois autres continuent à nous emporter dans l'univers original de Colette :

Christian Krohg

2/ L'enfant malade 

Un jeune garçon de 10 ans handicapé et alité arrive à sortir de son lit et de son enfermement grâce à son imaginaire.
Comment lui faire comprendre que je ne suis pas malheureux ? Il paraît qu’un garçon de mon âge ne peut ni vivre couché, ni être pâle et privé de ses jambes, ni souffrir, sans être malheureux. Malheureux… je l’étais encore quand on me promenait dans une voiture… Une pluie de regards m’inondait. Je me rétrécissais pour en recevoir un peu moins. Une grêle de « Qu’il est joli ! » et de « Comme c’est dommage ! » me prenait pour cible… Maintenant, je n’ai pour malheurs que les visites de mon cousin Charlie, ses genoux écorchés, ses souliers à clous, et ce mot « boy-scout » moitié acier, moitié caoutchouc, dont il m’écrase… Et cette jolie petite fille qui est née le même jour que moi, qu’on appelle tantôt ma sœur de lait, tantôt ma fiancée. Elle travaille la danse. Elle me voit couché, alors elle se dresse sur le bout de ses orteils, et dit : « Regarde comme je fais des pointes. » Mais ce sont des taquineries. Une heure vient, le soir, où les taquineries s’endorment. Voici l’heure où tout est bien.
La seconde nouvelle est tellement belle ! On lit au ras du lit où repose Jean, dont l'imagination transcende l'infirmité.
Un petit cube d’agneau grillé passa vite. « Courez, agneau, courez, je vous fais bonne figure, mais descendez en boule dans mon estomac, je ne vous mâcherais pour rien au monde, votre chair bêle encore, et je ne veux pas savoir que vous êtes rose à l’intérieur ! »
– Il me semble que tu manges bien vite, ce soir, Jean ?

Jean vit sa meilleure vie (possible) dans ses rêveries.

Encore heureux que Madame Maman n’ait pas vu au coin de mon œil la petite entaille, la trace du bec de l’hirondelle que j’ai heurtée en l’air… Je n’ai pas eu le temps de l’éviter, elle était dure comme une faux. Il est vrai que c’est si petit, un ciel… »

 Un passage magnifique !

Ayant guetté le départ de Madame Maman et de Mandore, il prit le commandement de son radeau d’in-folio et d’atlas et s’embarqua.
Marguerite Gérard (anonyme)

3/ La  dame du photographe.

La narratrice, Colette elle-même, se rend régulièrement chez Melle Devoidy, une enfileuse de perles, qui vit sur le même palier qu'un photographe dont l'atelier est dans l'immeuble et dont l'épouse discrète traverse souvent le palier pour apporter à Melle Devoidy un repas. Un jour, Melle Devoidy annonce à Colette que Madame Armand, la femme du photographe a fait une tentative de suicide.
Colliers et sautoirs gisaient démembrés sur le tapis vert, comme des enjeux dédaignés.

Une nouvelle tout en nuances sur la position des femmes : seules, elles doivent subvenir à leurs besoins en travaillant même à de modestes métiers, mariées, elles sont réduites à être "l'épouse de" et se partagent entre occupations ménagères et mélancolie d'une autre vie.

« Oui, je crois que c’est tout, madame. Un froid terrible est venu couper le fil de mes pensées, et encore je n’en suis pas sûre. Ce qui est sûr, c’est que jamais, jamais plus je ne me suiciderai. Je sais maintenant que le suicide ne peut me servir à rien, je reste ici. Mais vous pouvez juger, sans pouvoir offenser Mlle Devoidy, que j’ai toute ma tête et qu’une névrosée et moi, ça fait deux. »



4/ Flore et Pomone

Un long voyage poétique au coeur des fleurs.

Tous, nous tressaillons lorsqu’une rose, en se défaisant dans une chambre tiède, abandonne un de ses pétales en conque, l’envoie voguer, reflété, sur un marbre lisse. Le son de sa chute, très bas, distinct, est comme une syllabe du silence et suffit à émouvoir un poète.

Cette dernière partie du livre ne m'a absolument pas intéressée. Je pense que Colette y a déposé toutes ses inspirations bucoliques mais j'ai eu du mal à apprécier cette lecture décrivant fleurs, jardins et plantes de toutes sortes.


illustration d'entrée de billet : Jeanne Fichel-Samson "Tea in the Conservatory"

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