Lettres de Hanoï - Jean TARDIEU



1927. Jean Tardieu rejoint son père à Hanoï pour y faire deux années de service militaire : le peintre Victor Tardieu y a fondé l’École des beaux-arts de l’Indochine. Après la phase d'installation, Jean Tardieu commence sa correspondance. Le livre recueille trois grandes lettres, écrites sur plusieurs jours, voire plusieurs mois, vers deux camarades, Michel Pontremoli et Jacques Heurgon auxquels il raconte son quotidien, et Roger Martin du Gard, son mentor dans la carrière des lettres. 



Tout livre a son histoire particulière ; celui-ci m'a attirée à la boutique du musée Cernuschi lors de ma visite au mois de mars pour l'expo Lê Phô, Mai-Thu, Vu Cao Dam Pionniers de l’art moderne vietnamien en France. Je ne l'ai pas acheté sur le moment mais récemment à la librairie de la BNF Tolbiac (tout petit endroit qui recèle de bien jolies surprises).


Le 23 septembre 1927, Jean Tardieu embarque à Marseille pour une longue traversée à bord du Sphinx. Le symbole ne lui aura pas échappé : il est assailli de questions et ignore tout de ce qu’il trouvera au bout du voyage, à Hanoï.
.../... à la fin de ses études de lettres, il est requis par ses obligations militaires et a obtenu pour l’occasion de rejoindre, en compagnie de sa mère, son père Victor Tardieu, fondateur et directeur de l’École des beaux-arts de l’Indochine. Delphine Hautois.



J'ai trouvé intéressant de litre cette correspondance d'un jeune homme d'une vingtaine d'années et déjà si impliqué dans les relations humaines, respectueux des coutumes locales. Grâce aux relations de son père et en particulier ses élèves artistes, il se lie avec le jeune peintre Lê Phô qui l'invite dans sa famille et il découvre un autre Hanoï que celui des colons qui ont recréé ce qu'ils connaissent : les bâtiments, les routes, les ponts, un Hanoï plus nature, plus vert, plus authentique, c'est ce que je retiens surtout de ces lignes : la recherche absolue de l'authentique. Il décrit avec amusement sa vie militaire qui lui laisse le loisir décrire pour son compte étant donné qu'ils sont 3 et qu'un seul ne peut taper à l'unique machine à écrire, les autres vaquent à leur préoccupations en attendant leur tour. Mais son drame sera tout de même sa faible constitution qui fait que le climat est une épreuve : la chaleur lui est difficilement supportable.

Une lecture originale d'un poète que je découvre et m'invite à découvrir un autre écrivain qu'il admire : André Gide.

En pensant à cette grande voisine qui donne la clé de tout ce que l’on voit et entend ici, je me sens l’esprit tout éclairci et aéré et, devant ma table tranquille, en écoutant la pluie frapper à mes carreaux, j’essaie de comprendre un peu cette race d’hommes si différente de ma race et – entre mes délicates poteries Song, des traductions de poèmes chinois, des reproductions de dessins chinois anciens, une histoire d’Annam, une étude du bouddhisme, une autre du confucianisme, les admirables planches d’Osvald Sirén ou de la mission Segalen-De Voisins, enfin en me remémorant quelques-unes de mes promenades dans la campagne tonkinoise, les vieilles pagodes harmonieuses et simples, les bonzeries à l’heure où les bonzes, accroupis dans l’ombre riche aux pieds des autels, prient et déroulent le chapelet criard de leurs litanies – avec une douce joie je m’imprègne de cette masse de lectures et d’impressions et je vais à la découverte dans un monde délicat et profond qui bientôt ne me semble pas moins proche ni moins affectueux que les fables de La Fontaine jointes aux dessins de Poussin et aux fugues de Bach.


publié en 2024



illustration : Lê Phô

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