Mort de Bunny Munro - Nick CAVE


 
Il remarque que les ombres derrière lui ont commencé à dégouliner, à s'étaler et se repositionner. Elles semblent s'allonger et prendre des personnalités qui ne leur seraient pas attribuées en temps normal, comme si elles avançaient sur lui en provenance du monde des esprits. Bunny a le sentiment inattendu de sa mort imminente - pas nécessairement aujourd'hui mais bientôt - et se rend compte non sans perplexité qu'il en éprouve un certain réconfort. (p.76)


Angleterre. Bunny Munro, un père fragilisé par sa dépense au sexe, à l'alcool et à la drogue, anéanti suite au suicide de son épouse chérie mais largement trompée, tente de prouver à son jeune fils qu'il est vraiment le papa le plus formidable au monde. Munis de la liste des clientes potentielles des produits de beauté que Bunny vend en porte à porte, ils partent tous deux à bord de la Punto à la rencontre de leur destin.

Mon avis
J'ai envie de commencer par dire que ce livre est une sorte de mélange, un cocktail sans modération aucune : un road-movie frénétique d'un homme perdu qui descend de plus en plus dans l'oubli de lui-même, incapable de reprendre pied dans une vie où l'attend patiemment son garçon de 9 ans en consultant sa chère encyclopédie, tandis qu'il fait du gringue aux "desperate housewives" d'Angleterre façon Hank Moody (de la série Californication) et se montre impuissant à s'occuper de son fils qui pourtant l'adore.

Un style nerveux qui ne manque pas d'audace, de poésie, de fantasmagorie, de réalisme, d'humour, de désespoir, de fierté et de honte. Un cocktail avec une dose de Big Lebowski et une de Donnie Darko.

Bunny Junior espère que rien de vraiment terrible n'arrivera à son père, car même si sa mère a dit qu'il était perdu, et même s'il n'a probablement pas été un bon père comme ceux qu'on voit à la télé, dans les magazines, dans les parcs et tout ça - eux qui par exemple achètent du collyre pour ne pas que leur enfant devienne aveugle, ou qui joue au frisbee dans les jardins publics, des trucs dans ce genre - il aime son père de tout son coeur et pour rien au monde il ne l'échangerait contre un autre. (p.278)

Impossible d'en dire plus si je veux éviter de révéler quelques clefs... Disons simplement que nous avons là une sorte de livre-boutis formé par des pièces de vie rattachées entre elles par des fils ténus comme l'espoir, l'espoir d'un autre monde, d'une autre chance.

Notons les passages hilarants côtoyant les plus sordides, les blancs et les noirs, les lumières et les ombres :
- orange le fantôme de la mère vêtu de sa petite robe orange qui tournoie dans les pages, tantôt pour épouvanter son mari, tantôt pour rassurer son fils
- bordeaux la bétonneuse Dudman (l'homme-camelote) qui apparaît à plusieurs reprises
- blanche la brume qui arrive à l'approche du fantôme
- noirs les nuages qui s'amoncellent dans le ciel troublé
- bleu le ciel "comme une piscine".

Un roman jubilatoire que nous n'avons jamais jamais envie d'achever... mais puisqu'il le faut, alors avouer qu'à la fin j'ai pleuré.
2009 (anglais)
2010 (français)



Illustration (c)Kim Daehyun


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