Dans le scriptorium - Paul AUSTER




Mr Blank est un vieil homme qui se retrouve dans une chambre cellulaire, sans se souvenir pourquoi il est là, mais pressentant une punition. Dans la chambre, outre le lit, il y a un bureau et sur celui-ci des papiers et des photos. Blank ne reste pas seul dans cette chambre imprévue, imprévisible et inexplicable (portes de placards dérobées, étiquettes scotchées sur les objets comme une légende sur un dessin) car il y reçoit des visites mais ne reconnaît aucun de ses visiteurs. Parfois, un des noms lui semble familier, mais sans plus de précision. Mr Blank est mal à l'aise, il ne sait s'il peut sortir de la chambre : il a tenté d'ouvrir la fenêtre sans succès et n'ose pas tenter d'ouvrir la porte. Il s'occupe à lire des feuillets qui semblent être ceux d'une histoire, mais celle-ci est inachevée. Arrive un personnage qui lui demande d'inventer la suite. D'abord réticent, Mr Blank se lance sur une piste, puis désappointé, décide de modifier le récit et change la fin. Il semble satisfait. C'est alors qu'un ultime (?) personnage lui rend visite, il s'agit de son avocat, celui-ci est très inquiet. En effet, nous apprenons que les plaintes déposées contre Mr Blank sont exceptionnellement chargées et que certains plaignants désirent sa mort mais pas seulement : ils veulent son supplice et le jeter en pâture. Mais qu'a fait Blank pour mériter ce sort ? Nous le comprenons à la fin du récit, à partir du moment où l'avocat fait son entrée. Blank est un raconteur, un faiseur d'histoires.

Un être qui a basculé dans une nouvelle dimension, un nouvel univers en expansion vers les confins du pouvoir, celui des hommes et celui du temps. Blank n'a plus le même corps et peut-être aussi, n'a-t-il plus la même âme. Il existe maintenant dans une autre réalité où ses personnages le visitent comme d'anciens amis fantomatiques, indulgents du sort que Blank leur a réservé ou animés d'une vengeance morbide. Dans cette réalité là, ce sont les personnages qui vivent et pensent par eux-mêmes, qui vont et viennent libres, à l'inverse de l'auteur qui n'est plus le créateur tout puissant mais qui devient le condamné esclave et démuni de tout, y compris de sa mémoire, sa conscience, sa capacité à décider, sa force d'agir. Blank est faible, il n'arrive plus à rien, ou presque, et tout l'étonne et le surprend. Il est comme un petit enfant ; ce sont d'ailleurs des souvenirs d'enfants qui lui reviennent parfois, comme l'image du cheval à bascule. A la fin, lorsque Blank comprend qu'il est enfermé dans sa propre fiction, qu'il est devenu un personnage (le dernier), comme s'il se regardait dans le miroir de Magritte et qui ne reflète rien d'autre que ce que verrait quelqu'un qui observerait l'observateur.

RELATIVITE. Blank envoie tout balader : les feuilles du nouveau récit qu'il s'est mis à lire, le récit que nous tenons entre les mains, "voltigent en l'air". Il est vaincu. Nous sommes presque peinés.



Tout d'abord, je dois dire que ce très court roman peut se lire en une journée facile (137 pages de lecture). Ensuite, qu'il fait référence à des personnages apparus dans d'autres romans de l'auteur. Cela dit, il n'est pas absolument nécessaire de les avoir tous lus, seulement de savoir qu'il y a un jeu de cache-cache auquel s'adonne Paul Auster. Jeu ? Ou nécessité de dérouler avec une sorte de précision chirurgicale les affres et les douleurs de la création, de l'écriture, sa puissance, sa fragilité et ses démons. C'est une histoire à la limite du fantastique, une sorte "d'arroseur arrosé", vraiment c'est l'image simple qui me vient à l'idée et qui me persuade de cela : celui qui écrit met de sa vie dans son récit, et même dans ses personnages, une sorte d'exorcisme ténu à la lisière de la conscience bien sûr. Les personnages ne survivent à leur histoire que si quelqu'un pensent à eux. Et qui les connaît le mieux si ce n'est leur créateur ? A moins qu'ils ne réussissent à passer, à "voyager" dans une nouvelle fiction... Magique ! Auster achève ce roman comme une sorte de testament. Il se met dans la peau d'un réalisateur qui explique un script de cinéma. Il parle des photos déclenchées régulièrement : "une fois par seconde", et il y a un fil invisible. Le fil qui anime la marionnette que nous sommes et qui nous relie à quelqu'un de plus "grand", et de ce fait, ce quelqu'un, il nous est impossible de l'imaginer, de l'expliquer et de le comprendre.



Mr. Blank s’installe avec lenteur dans le siège placé devant le bureau. C’est un siège d’un confort extrême, constate-t-il, garni d’un souple cuir brun et doté de larges accoudoirs où peuvent reposer ses coudes et ses avant-bras, sans parler du mécanisme à ressort invisible qui lui permet de se balancer à sa guise d’avant en arrière, ce qu’il commence d’ailleurs à faire dès l’instant où il est assis. Un tel balancement a sur lui un effet apaisant et, tandis qu’il continue à se laisser aller à ces agréables oscillations, Mr. Blank se souvient du cheval à bascule qui se trouvait dans sa chambre de petit garçon, et il se met alors à revivre certains des voyages imaginaires qu’il entreprenait sur ce cheval, qui s’appelait Whitey et qui, dans l’esprit du jeune Mr. Blank, n’était pas un objet en bois orné de peinture blanche mais un être vivant, un vrai cheval.


 

Illustration d'entrée de billet : James Koenline

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