La peur - Stefan ZWEIG

Marie Krøyer in Paris-Michael Peter Ancher


Recueil de 6 nouvelles

1) La peur (version courte)

Une bourgeoise se fait surprendre par une femme en sortant de chez son amant et succombe à son chantage, à partir de ce moment la peur que son aventure soit découverte par son mari ou que cette horrible femme n'aille le voir ne la quitte pas. Mais il s'avère que le mari a orchestré ce chantage afin qu'elle lui revienne.

À présent que la bonne lui enlevait son manteau, qu’elle entendait dans la pièce voisine son petit garçon jouer avec sa sœur cadette, et que son regard apaisé rencontrait partout des choses familières, bien à elle et rassurantes, elle retrouva une apparence de calme, tandis que les vagues souterraines de l’émotion agitaient encore douloureusement sa poitrine oppressée. Elle ôta sa voilette et s’efforça de détendre ses traits, bien décidée à paraître naturelle ; puis elle entra dans la salle à manger, où son mari lisait le journal devant la table mise pour le dîner. « Il est bien tard ma chère Irène », fit-il sur un ton d’aimable reproche. Il se leva et l’embrassa sur la joue ; elle en éprouva malgré elle un pénible sentiment de honte. Ils se mirent à table et, se détournant à peine de son journal, il demanda d’un air indifférent : « Où étais-tu pendant tout ce temps ?

2) Révélation inattendue d'un métier

Un homme arrive à Paris pour affaires et tandis qu'il attend son heure de rendez-vous il passe le temps à observer les passants jusqu'à ce qu'il distingue dans la foule le comportement étrange d'un homme très pauvrement vêtu, qu'il prend d'abord pour un détective déguisé en clochard, puis un policier mais qui se révèle être un pickpocket qui va finir par s'en prendre à lui et qu'il laissera filer, touché par sa misérable condition.

Ce personnage singulier s’imposa d’abord à mon attention par le simple fait qu’il revenait constamment dans mon champ visuel. Ces mille, ces dix mille autres passants que j’avais vus défiler pendant cette demi-heure disparaissaient tous comme tirés par d’invisibles fils : ils me montraient rapidement une silhouette, un profil, une ombre, et déjà le courant les avait emportés à tout jamais. Cet homme, au contraire, ne cessait de revenir et toujours au même endroit.

3) Leporella

Une servante disgracieuse et mal embouchée se met à aduler son employeur et prend en grippe l'épouse de son maître, au point de la supprimer ; l'époux, horrifié, cherche à prendre ses distances et lorsqu'il la renvoie, elle se suicide de désespoir.

Sous l’effet de cette impulsion fortuite, les couches profondes de son être s’ébranlèrent l’une après l’autre, jusqu’à ce qu’il s’en détachât, informe tout d’abord, puis de plus en plus net, un sentiment nouveau, pareil à celui qui guide le chien lorsqu’un beau jour il discerne subitement, parmi tous les bipèdes qui l’entourent, son maître à lui : à partir de ce moment-là il le suit, accueille par des frétillements ou des aboiements celui à qui le destin le soumet, lui obéit de plein gré et l’accompagne partout avec docilité. C’est ainsi que dans la vie bornée de Crescenz, où il n’était question jusque-là que de cinq ou six choses – argent, marché, fourneau, église et lit –, un nouvel élément s’était introduit en écartant violemment tout ce qui l’avait précédé. Et avec cette âpreté du paysan qui ne veut plus lâcher ce dont ses dures mains se sont emparées un jour, elle aspira cet élément en elle jusque dans le monde trouble de ses instincts. 

4) La femme et le paysage

Par une lourde nuit d'été, un jeune homme rencontre une jeune fille exaltée par la tension de l'air orageux et qui, à demi consciente, se met à l'embrasser sauvagement. Devinant qu'elle n'a pas toute sa raison il la repousse ; le lendemain, à la table du petit déjeuner de la pension dans laquelle ils séjournent, elle a tout oublié de son abandon.

Mais alors que mes lèvres errantes voulurent remonter jusqu’à ses paupières, jusqu’à ces yeux dont les flammes noires m’avaient fait si fort frissonner, au moment où je me redressai, pour voir son visage et en jouir davantage en le contemplant, je m’aperçus, étonné, que ses paupières étaient bien closes. Comme un masque grec taillé dans la pierre elle était là sans yeux, sans vie – Ophélie morte, à présent, flottant sur les eaux, le visage inerte et pâle, émergeant des flots sombres. J’eus peur. Pour la première fois, la réalité m’apparut dans cette aventure fantastique. Je m’aperçus avec horreur que je tenais dans mes bras une égarée, une inconsciente, une malade, une somnambule que seule la chaleur accablante de la nuit, telle une lune rouge et maléfique, avait poussée dans ma chambre, un être qui ne savait pas ce qu’il faisait, qui peut-être ne voulait pas de moi.

 

5) Le bouquiniste Mendel

A découvrir sur ce lien

6) La collection invisible

J'ai eu beaucoup de plaisir à relire ces nouvelles (en ebook) car l'auteur qui est l'un de mes préférés n'a pas son pareil pour décrire les affres de la passion, l'amour et ce qu'il est capable de transfigurer. Dans ces récits certains personnages éprouvent la peur viscérale, de celle qui nous retourne l'esprit et la raison :
  1. la peur de perdre son statut de bourgeoise irréprochable : "La peur",
  2. la peur d'être arrêté : "Révélations...",
  3. la peur d'être victime (lui) ou d'être abandonnée (elle) : "Leporella"
  4. la peur d'abuser une femme hystérique : "la femme et le paysage"
  5. la peur de l'oubli : "le bouquiniste Mendel"
  6. la peur du mensonge découvert "la collection invisible"
Stefan Zweig est un auteur multiple qui sait parler de choses sérieuses et humaines avec beaucoup de psychologie et dans un style assez exceptionnel, il suffit de lire quelques extraits pour s'en convaincre.

Angst paru en 1925 (allemand) et en 1935 en français




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