Trilogie New-Yorkaise - Paul AUSTER


Roman en 3 parties

1/ La cité de verre (1985), 170 pages

New-York. Quinn écrit des romans policiers sous le pseudonyme de William Wilson dans lesquels il met en scène le détective Max Work, devenu au fil des années une sorte de double contrarié, en effet Max est tout son contraire. Un jour, il reçoit par erreur un appel qui le mène à enquêter sur l'étrange affaire d'un homme tenu enfermé par son père durant 9 ans. Pour accomplir sa tâche, Quinn oublie son identité.

2/ Revenants (1986), 80 pages

1947. Bleu est détective privé, ayant débuté dans la profession avec Brun. Un jour, Blanc lui demande de surveiller Noir. Bleu s'installe dans un appartement juste en face de celui de Noir, annonce à la future Mme Bleu qu'il part en mission pour quelques temps. Il y reste longtemps. Assez pour que la future Mme Bleu ne le devienne jamais, et pour que lui même ne sache plus très bien qui est Blanc ou Noir.

3/ La chambre dérobée (1986), 154 pages

Fanshawe disparaît, sa femme, persuadée qu'il est mort, se décide à solliciter le narrateur afin qu'il prenne connaissance de l'oeuvre littéraire de son ancien ami d'enfance et décide si celle-ci vaut la peine d'être éditée. Peu à peu, le narrateur en vient à croire que Fanshawe est vivant, qu'il se cache quelque part. La jalousie le taraude, Fanshawe a toujours été son modèle de perfection ! A tel point qu'il finit par désirer qu'il disparaisse vraiment.


Mon avis

Premier roman constituant la Trilogie new-yorkaise, La cité de verre aborde le thème du vertige de l'identité, de la recherche des origines : la nôtre, celle de nos désirs, de nos inquiétudes, de l'enfance, de la perte d'un être cher, celui-ci pouvant être soi-même. Pour se sentir capable d'accomplir sa mission, Daniel Quinn se glisse dans la peau de son personnage de fiction, le détective Max Work, qui est à l'opposé de ce qu'il est : plus téméraire, plus audacieux, plus performant. Il note le résultat de sa filature dans un cahier rouge, ce qui lui permet de faire son rapport quotidien à la femme qui l'a engagé. Mais loin de se contenter de garder Stillman à l'œil, il entreprend de percer le mystère de cet homme au comportement étrange, ce fou qui sillonne le quartier dans lequel il se cantonne, de manière a priori chaotique. Quel est son dessein ? Et quel est le destin de Quinn ? Nous le saurons en nous plongeant de manière vertigineuse -et consentante - dans ce roman à facettes qui pose la question de la création, de la fiction, de la liberté.

Pour l'histoire suivante, Revenants aborde le thème de ce qui nous hante. Les souvenirs, la mémoire de ceux qui ont été notre modèle et qui nous ont quitté, les endroits où l'on vit et où d'autres avant nous ont laissé une trace, autant de petits cailloux qui sont semés et qu'on l'on peut voir ou ignorer. Vivre avec le manque et faire en sorte de ne pas se perdre. Dans ce roman, Auster utilise encore un personnage qui espionne, celui-ci ignore pourquoi, mais il cherche à savoir qui est cet homme qu'il doit surveiller, et cette incertitude l'oblige à plonger dans ces démons intérieurs.

Pour terminer et loin du texte de la lecture "le monde pseudonyme de Paul Auster" proposé à la fin de la Trilogie par Marc Chenetier, je veux parler de ce qui me touche en tant que lectrice. J'ai adoré cette chambre dérobée, et tout le livre en fait. M'y plonger fut pour moi une sorte de bain de jouvence : ce genre de livre m'autorise de manière incroyable à percevoir tout ce que j'aime, ce qui est important pour moi, ce que j'ai envie de dire, de partager. Ce livre me pousse à écrire moi-même. Il va de soi que je suis un peu triste d'arriver à la fin, d'autant qu'il n'y a pas vraiment de fin, mais une sorte de nouvelle porte vers un autre monde, un autre livre suggéré.

C'est toujours ainsi que je lis Auster, du moins ses anciens livres car à part "Dans le Scriptorium", je n'ai rien lu de lui plus récent. S'intéresser aux mots, s'inventer dans ce qui est écrit, croire au pouvoir des livres - voilà qui submerge tout le reste, et en comparaison notre propre vie se rapetisse considérablement. (p.306) Comment ne pas être séduit par cet extrait ? Je vous le demande. Bien sûr, je suis. Le narrateur accepte la difficile mission de sortir de lui-même pour entrer dans un autre, vivre la vie de l'autre, il part sur les traces de Fanshawe pour se retrouver, percer le secret de l'absent pour émerger. On avait l'impression qu'existait en lui un noyau caché où on ne pourrait jamais accéder, un centre mystérieux du secret. (p.288) Mais Fanshawe est un pirate, un saboteur, un menteur, un bonimenteur, un voleur : il glisse dans la vie comme une étoile filante, irrésistible et en même temps insupportable. Est-il le bourreau ou la victime ? peut-être les deux à la fois puisque c'est un écrivain, un inventeur : tout est possible... même la possibilité de n'avoir jamais disparu, ou d'être devenu fou. Voilà tout ce qui m'est passé par la tête à la lecture de ce livre imbriqué, où les noms des personnages se reflètent d'un volume à l'autre, où la réalité s'immerge dans la fiction, comme si Auster faisait une sorte de scrapbooking avec des morceaux récupérés de sa vie intérieure et de sa vie affective dans son atelier intime, son cerveau, sa chambre dérobée, au monde et aux explications...

A la fin, le puzzle assemblé ne ressemble à rien de connu ou de définissable, et chacun y verra son propre labyrinthe, son propre dénouement. Et c'est cela qui est merveilleux. Comme il s'agit aussi d'un livre où la filiation a un rôle d'importance, je me suis amusée à faire l'inventaire des enfants qui apparaissent dans la TNY : Peter, l'enfant tenu enfermé durant 9 ans dans une pièce obscure par son père pris de démence Je pense qu'il est probable qu'il s'est mis à croire à quelques unes des idées religieuses extravagantes sur lesquelles il avait écrit. Ca l'a rendu fou, absolument dément. On ne peut pas dire ça autrement. Il a enfermé Peter dans une pièce de l'appartement, il a recouvert les fenêtres et l'a gardé comme ça pendant 9 ans. Une enfance entière passée dans l'obscurité, isolée du monde, sans aucun contact humain à part une raclée de temps à autre. Je vis avec le résultat de cette expérience et je peux vous dire que les dégâts ont été monstrueux. Ce que vous avez vu aujourd'hui, c'est Peter au meilleur de sa forme. Il a fallu treize ans pour l'amener à ça et je ne suis pas près de laisser quelqu'un lui faire à nouveau du mal. (TNY- Cité de Verre - p 47) L'enfant mort de Daniel Quinn Son bureau était parti, ses livres, les dessins d'enfant de son fils mort étaient partis. (TNY- Cité de Verre - p 174) L'enfant mort sur lequel enquêtait Doré et dont il avait fait réaliser un masque mortuaire Cet homme du nom de Doré, s'est trouvé obsédé par le meurtre. Avant que l'enfant ne soit enterré il a fait un masque mortuaire de son visage et, dès lors, il a consacré tout son temps disponible à percer ce mystère. Vingt ans plus tard, ayant atteint l'âge de la retraite, il a quitté son travail et voué chacun de ses instants à cette affaire. Mais les choses ne sont pas allées à son gré. (TNY- Revenants - p 198) Bleu qui se souvient de son père - et aussi de l'alpiniste qui avait retrouvé le corps de son propre père victime d'une chute plus de 20 ans auparavant. Seul dans les montagnes, à des kilomètres de tour être humain, le fils passa par hasard sur un corps dans la glace - un mort parfaitement intact, comme préservé en arrêt momentané des fonctions vitales. Il va sans dire que le jeune homme s'arrêta pour l'examiner, et lorsque en se penchant il regarda le visage du cadavre, il eut l'impression aussi nette que terrifiante qu'il était en train de se voir lui-même. (p 210) L'enfant de Fanshawe, Ben, qu'adopte le narrateur, puis Paul, l'enfant qu'il a avec Sophie Et je veux adopter Ben, ai-je dit. Je veux qu'il porte mon nom. Il est important qu'il grandisse en me considère comme son père. (p 330) Peu de choses à rajouter, si ce n'est que ce livre est riche, riche de tant de choses qui me parlent que je n'ai qu'une envie, c'est de lire très prochainement "L’invention de la solitude", il me le faut !

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