Trois jours chez ma mère - François WEYERGANS



2h00. Je ne sais pas ce que font les autres, mais je me lève. Le voisin vient de rentrer, le clignotement de la fermeture de sa voiture allume la nuit aux volets ouverts. Je me lève en maugréant, ou l’inverse. Il fait chaud, j’ai envie de boire quelque chose de frais. Une bière serait la bienvenue, mais est-ce raisonnable ? Je prends mon livre sur la table de nuit : "Trois jours chez ma mère", par François Weyergans. On me l’a prêté. Je n’ai pas honte d’avouer que la plupart des personnalités dont il parle me sont inconnues. Sans doute philosophes ou historiens : des extraterrestres sur ma petite planète. Mais la prose de Weyergans me fait un bien fou. Il me donnerait presque envie d’avoir fait du latin le bougre. Que je voudrais avoir un fils qui aime écrire ! Mais il n’aurait pas l’angoisse de la page blanche, comme moi il aurait ce passe-temps comme un prolongement naturel de sa pensée et de ses idées. L’écriture ne serait pas pour lui un but ultime dont dépendrait son existence. Ce ne serait ni un enjeu, ni une preuve de ses capacités. Comme moi, il serait juste curieux. Trois jours c’est aussi le temps qu’il m'a fallu pour le lire, et je vous donne mon impression.
"Je vais aller dormir. Je me fais toujours une joie de m’endormir. C’est le moment où j’ai le plus d’idées. J’en ai plein, les plus belles qui soient, je les accueille et les entoure de prévenance, d’autant plus que je sais que je ne pourrais pas les utiliser. Il m’est impossible, hélas d’écrire et dormir en même temps. Je m’endors donc en me trouvant génial et je me réveillerai en trouvant que ma vie est horrible, deux jugements très exagérés."
Dans ce roman, François Weyergans écrit la vie de François Weyergraf écrivain, qui lui-même est en train d'écrire celle de François Weyerstein ou bien celle de François Graffenberg, je m'y suis perdue dans les identités... Tout comme Adamsberg (le commissaire de Fred Vargas), Weyergraf offre autour de lui des galets ramassés pendant les vacances. J’y vois là une allégorie : un galet peut servir de presse-papier, et les personnages de roman deviennent pour les écrivains, des instruments, des objets solides sur lesquels ils s’appuient pour exister. L'écriture de Weyergans est très agréable, émaillée de références et d'humour. Un livre qu'il faudrait pouvoir lire en un seul jour...

Lire ce roman revient à plonger comme dans un miroir sans tain où se reflète autre chose que les ressemblances, où débordent les secrets intimes. Inspiration, filiation, émotions, obsessions, sont les contours fragiles et subtils dessinés autour de ce personnage cloné sur lui-même et retracé dans ces pages. J'ai songé à cette peinture de Magritte : "reproduction interdite". Je me suis également rappelé le coup de théâtre que ce livre avait engendré l'année dernière en obtenant le "prix Goncourt" face au favori Houellebecq et son roman "La Possibilité d'une île".

Ce qui m'étonne le plus, c'est de découvrir Weyergans dans la peau d'un "tombeur de dames". Quant à la difficulté d'écrire, distillée tout au long du roman, certes elle existe bel et bien, je suppose. La chronique de Simon Leys dans le magazine littéraire de février 2006, éclaire sur ce point. Pour ma part, je suis persuadée d'une chose : quand on doit faire un travail de commande, l'inspiration ne peut pas être totalement "libre". Etre sous la pression d'un éditeur est le comble de l'absurde pour un auteur. Pour moi écrire c'est une chance pour l'être, un équilibre intrinsèque, qui ne se juge pas mais qui nécessite d'être à l'écoute de soi et des autres.


sorti en 2005


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