Auprès de moi toujours - Kazuo ISHIGURO



Nous sommes en Angleterre, fin du XXème siècle. Kath, Ruth et Tommy sont des clones dont le destin est de devenir des accompagnants puis des donneurs d'organes. Leur destin est donc tout tracé, sauf qu'ils vont être élevés dans un endroit spécial : Hailsham, où ils apprennent à créer, à penser, à imaginer, où ils vont peut-être prouver qu'ils ont une âme, bien à eux, et ce malgré leur origines douteuses.

On vous a informés, mais aucun de vous ne comprend vraiment, et j’ose dire que certaines personnes sont très heureuses de s’en tenir là. Ce n’est pas mon cas. Si vous voulez mener une vie décente, alors vous devez être mis au courant, et comme il faut. Aucun de vous n’ira en Amérique, aucun de vous ne sera star de cinéma. Et aucun de vous ne travaillera dans les supermarchés, comme j’ai entendu certains d’entre vous l’envisager l’autre jour. Vos vies sont toutes tracées. Vous allez devenir des adultes, et avant de devenir vieux, avant même d’atteindre un âge moyen, vous allez commencer à donner vos organes vitaux. C’est pour cela que chacun d’entre vous a été créé. (p.131)
Mon avis

Laissez-moi crever la bulle de mystère qui entoure ce roman. Car si je ne le fais pas, vous pourriez être, comme moi, rebuté par le démarrage de ce roman qui m'a mis fortement troublée, au point qu'il a fallu que je l'abandonne. Et puis j'y suis retournée, mue par un sentiment d'urgence. Impossible à expliquer.

Admirable roman ! 
Je songe à ma pile de vieux livres de poche aux pages tremblotantes, comme si elles avaient autrefois fait partie de la mer. (p.188)
Le roman est calqué sur le récit de Kath qui fait se succéder, je devrais dire s'entremêler, les souvenirs de Hailsham (l'école où elle vécu de 6 à 16 ans), des Cottages (l'endroit où elle vécut de 16 à 18 ans environ), et sa vie d'accompagnante. Cet incessant retour en arrière déroute largement, et transforme le récit de Kate est une sorte de puzzle dont l'image finale n'est révélée qu'à la fin.
Puisque chacun d’entre nous avait été copié à un moment donné sur une personne normale, il devait exister pour chacun de nous, quelque part là-bas, un modèle qui vivait sa vie. Cela signifiait, du moins en théorie, que vous pouviez trouver la personne à partir de laquelle vous aviez été fabriqué. C’est pourquoi quand vous étiez vous-même dehors – dans les villes, les centres commerciaux, les restaurants de routiers-, vous essayiez de repérer les « possibles » -les gens qui auraient pu être vos modèles et ceux de vos amis. (p.217)
Au final, nous ne saurons pas comment sont fabriqués les clones, ni qui les a commandités. L'état ? Une entreprise privée ? Là n'est pas la question je suppose. Les enfants d'Hailsham ne pensent jamais aux "parents" et pour cause : ils ignorent ce que c'est. Leurs seuls modèles "adultes" sont leurs gardiens, leurs professeurs, vers qui ils peuvent reporter leur affection. Car les clones peuvent aimer.

Dans ce roman, nous restons à la frontière de l'utile et nous ne saurons que l'essentiel. Les clones sont des êtres stériles fabriqués dans le seul but d'accompagner les donneurs qu'ils seront à leur tour. Après 1, 2, 3 ou 4 dons, ils "termineront" vers la trentaine (comme dans la série L''âge de Cristal). Nous ne saurons pas quels organes sont prélevés, nous savons seulement qu'ils souffrent de leurs opérations et de leurs cicatrices, comme les humains.

Leur vie de donneurs se déroule dans des maisons de repos ou des hôpitaux, dépourvus de charme, plutôt fonctionnels et sans confort où ils reçoivent la visite de leur accompagnant. Comme celui-ci a plusieurs "malades" à visiter, il passe son temps sur les routes, de longues routes incroyables qui semblent traverser de grands espaces vides, qui bordent des champs à perte de vue. Ils se réchauffent, comme Kath, les mains autour d'un café dans une station service qui est comme un havre de réflexion. Je vois d'ici le tableau genre Hopper.


Etrange récit fantastique qui porte un regard sur notre humanité, un regard inspiré qui fait tomber des mots délicats devant nos yeux desquels finissent par s'enfuir quelques larmes bien senties. Des donneurs qui me semblent des "plus qu'humains", à la manière de Theodore Sturgeon.

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