Passagère du silence - Fabienne VERDIER



Septembre 1983, à la sortie des Beaux-Arts de Toulouse, Fabienne Verdier tente l'impossible : aller étudier l'art chinois en Chine, en immersion totale à l'université de Chongqing. C'est dans le cadre d'un échange entre étudiants qu'elle y parvient, mais il lui faut beaucoup de tenacité et d'abnégation pour parvenir à faire toujours plus que ce qu'on lui autorise à apprendre, au péril de sa vie parfois.
1989. Les évènements tragiques de la place Tianan Men la font évacuer d'urgence vers la France. Elle reviendra en Chine par la voie diplomatique comme attachée culturelle à Pékin.
Fabienne repart de Chine à la fin de l'année 92. La "passagère du silence" est le témoignage d'une passion, d'une vie entièrement dévouée à l'art. C'est aussi le témoignage de la vie quotidienne en Chine, des rapports de force, de la soumission, de la destruction massive du patrimoine culturel chinois. Poignant et sublime.


Mon avis
D'une écriture troublante et délicate, ce livre révèle un destin extraordinaire pour cette femme qui a un peu plus que mon âge et à laquelle je n'ai pas manqué de m'identifier tout au long récit, estimant à chaque étape : "j'aurais fait pareil", ou alors "je n'aurais pas osé", etc...

Fabienne se heurte aux us et coutume chinoises et tente continuellement de faire plier les rigueurs de ces hôtes.
Il faut que tu comprennes qu'ici personne ne peut agir comme il lui plait. Nous mêmes, ton interprête et moi, chacun d'entre nous, sommes régentés, organisés. Nous avons des devoirs à remplir auprès du parti. Nous menons tous une double vie : je suis le directeur de cette école et sculpteur ; ton interprête est professeur d'anglais et, en même temps, elle doit s'occuper de toi, et ce n'est pas une mince affaire.
Elle force la porte du professeur Maitre Huang et
celui-ci finit par accepter de lui apprendre, patiemment, l'art, les arts, de la calligraphie.
Enfin j'avais pénétré dans un univers qui correspondait à ce que je cherchais. Parmi ses objets familiers, ses cages à oiseaux, ses livres, ses pinceaux, sa pipe à eau, le pot de miel sous le lit, sa théière xinxing.
Fabienne Verdier a choisi la nature comme expression. La nature du chaos, la nature de l’homme, fusionnent au bout de son pinceau comme le ferait un cil sur une joue. Le mouvement impromptu n’existe que dans son éphémère réalité, seule la conscience fait d’un instant un moment d’éternité.
Ces fonds créés, je m’installe devant et, après des heures de médiation, je trouve le chemin de l’inspiration et voyage enfin, le pinceau à la main, dans d’infinis lointains.
Au delà de la trace il y a la vibration, celle du cœur, de l’esprit, le souffle de l’être. C’est comme si "Mademoiselle Fa" trace les frontières des objets cachés sous sa feuille en révélant la pensée qui en un instant la traverse.
Elle même dit que "la calligraphie ouvre les portes de la peinture". Je crois que je suis de ceux qui désirent entrouvrir ces portes là.

J'ai pénétré dans un entrepôt du quartier du Marais, mon carton à dessin sous le bras. Je suis montée jusqu'à la mezzanine où le directeur avait installé son bureau. Je retrouvais l'atmosphère de collection étonnante du musée d'Histoire naturelle de Toulouse. Son grenier était bourré de marionnettes, de costumes de théâtre anciens, de masques funéraires, de divinités de toutes sortes. L'ensemble était d'une beauté inquiétante, troublante. Je n'osais bouger de peur de déranger ces âmes étiquetées.

***
Un vieil homme âgé plongé, semblait-il, dans une profonde mélancolie, accablé par une existence quotidienne trop dure, se mit à fouiller dans une poche de sa veste ouatinée et prit une gourde, sorte de coloquinte séchée, qu’il gardait bien au chaud contre son corps. Il parla tout haut à sa gourde percée de trous d’aération, ôta le couvercle en os joliment sculpté et ajouré, et en sortit une minuscule créature : un grillon. Son visage s’éclaira subitement et, le sourire au cœur, il parla à l’insecte. Il avait oublié ses soucis et voyageait, seul, dans l’infiniment petit.

***
Comprends ceci : dans l'infiniment petit de l'espace de nos tableaux, nous ne faisons que reproduire le principe de l'infiniment grand du cosmos.

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