Une prière pour Owen - John IRVING


John Wheelwright, le narrateur, se souvient d'Owen Meany, son ami d'enfance, son meilleur ami, son seul ami. Owen est un phénomène : il se croit l'envoyé de Dieu. De très petite taille, doté d'une inexplicable voix rauque, il surpasse pourtant ce qui aurait pu être de la disgrâce pour s'imposer et imposer sa foi. Différent physiquement, il l'est aussi intellectuellement : surdoué, critique, passionné. Il est également différent spirituellement. Quand Owen, à 11 ans, tue accidentellement la mère de John, il pense que c'est la volonté de Dieu. Owen n'est pourtant pas un illuminé, simplement, il a des visions et il n'y peut rien changer. Il rêve de son avenir, il rêve de sa mort. Il tient son journal dans lequel toutes ses certitudes se matérialisent noir sur blanc, en majuscules (comme les conversations d'Owen signalées par cette typographie tout au long du livre), et John récupérera le précieux souvenir à la mort de son fidèle ami. Au fil des pages, Owen et John grandissent. Classes préparatoires, université. Convaincu de son destin, Owen oeuvre sans chercher à y échapper. Au contraire, il va au devant de lui et le rejoint. Owen est persuadé qu'il va mourir au Vietnam (nous sommes à la fin des années 60). Il s'engage dans l'armée par foi, car il sait qu'il doit aller se battre pour "sauver des vies" : il s'est "vu" sauvant des enfants vietnamiens...Finalement, Owen perdra ses bras, et la vie, en se jetant sur une grenade lancée par un jeune schizophrène au milieu d'un groupe d'enfants réfugiés. Bien qu'il soit persuadé qu'Owen ne l'a jamais quitté, car il sait qu'Owen rôde dans sa mémoire tel un fantôme rassurant, sa disparition "physique" laisse John, à jamais inconsolable. Et c'est cette absence qui met en évidence l'existence de ce "Dieu" qui lui a ravi son seul ami.

Quand meurt, de façon inattendue, une personne aimée, on ne la perd pas tout en bloc ; on la perd par petits morceaux, et ça peut durer très longtemps. Ses lettres qui n'arrivent plus, son parfum qui s'efface sur les oreillers et sur les vêtements. Progressivement, on additionne les pièces manquantes.



John Irving est puissant, comme l'athlète qu'il est. John Irving est un être de conviction, qui déverse dans ce livre tout ce qu'il pense de la politique américaine, des encombrements de la foi, de l'inconcevable perdition de l'humanité, de la folie destructrice. Mais John Irving a de l'humour et il est intelligent, son humour est donc sous-tendu comme une toile d'araignée, trop fine pour être détachée. J'ai pleuré et j'ai ri, c'est donc pour moi un livre réussi car il m'a emportée dans son univers, par ailleurs fortement inspiré de la vie personnelle de l'auteur.
Les rituels sont d'excellents remèdes à la solitude.
Il donne à son héros un élan immense. Owen, va loin, plus loin que tout, plus loin que l'espoir. Owen s'entraîne avec John au basquet, une gageure pour ce petit homme d'un mètre 52. Et pourtant, chaque action aura sa réaction. Tout le livre est émaillé d'indices, comme des pierres blanches que seul le petit poucet saura repérer.
Je ne savais pas très bien comment prier, alors ; je ne croyais même pas en la prière. Si aujourd'hui on me donnait l'occasion de prier pour Owen Meany, je me débrouillerai mieux ; sachant ce que je sais, je serai capable de prier plus intensément.
Owen est un personnage attachant, c'est drôle car j'ai lu que certains l'ont trouvé exécrable. Non, pour moi, il est aussi attachant qu'Harry Potter. Owen a des parents imbéciles malheureux, qui sont certainement à l'origine de ses désillusions. Mais Owen est un battant. Un battant pour l'autre, pas pour lui-même.

Savoir qu'un tel être puisse exister est un réconfort, même s'il reste un être de fiction. Celui qui achève ce livre sans un pincement de cœur, ou n'importe quoi qui y ressemble, une grande respiration, un détournement des yeux pour arrêter la larme qui coule, n'est pas humain, je le dis comme je le ressens.

Je sais que certains ne sont pas parvenus à la fin sous prétexte de détails, d'autres affirment que c'est le meilleur d'Irving. J'ai trouvé les détails absolument indispensables pour entrer dans le champ de vision de John, ses perceptions, ses appréhensions, ses hésitations, ses regrets, ses souvenirs. Ce livre étant mon premier de l'auteur, je ne peux rien affirmer ou confirmer sur le second point.

A la fin du livre, John implore :
"O Dieu, par pitié, rend-le nous !

Alors, à son exemple, je demande à John Irving : "John, dites-moi qu'un tel ami a vraiment existé".

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